Page:Reclus - La Coopération, ou Les nouvelles associations ouvrières dans la Grande-Bretagne.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

que les objets d’alimentation qu’on achète chez les épiciers et autres fournisseurs. Dès que la production n’a plus de règle mathématique, le principal instrument de succès pour les Stores est hors de cause. Par suite, la Coopération perd son caractère distinctif : se transformant en co-capitalisation, elle court tous les risques auxquels sont exposés les capitaux ordinaires. » — Il faut encore considérer qu’une fluctuation dans le prix des matières premières se répercute au double dans le prix des produits. Chose plus grave encore : la gestion d’une manufacture comporte une foule d’éléments sur lesquels les classes populaires ont reçu peu ou point d’instruction. Elle suppose la connaissance de la physique, de la chimie théorique et appliquée, de la mécanique, des mathématiques, et d’une foule de détails commerciaux, géographiques et politiques.

On dit aussi que de toute nécessité une grande manufacture ne doit obéir qu’à une volonté unique ; on dit qu’un comité d’administration serait, dans un moment donné, incapable de montrer autant de décision qu’un gérant ; on prétend même que le conflit de volontés équipotentes est le grand vice du système d’association ; et cela par la raison donnée par Frédéric ii, de Prusse : « À la tête d’une même armée, il y a quelque chose de pire qu’un mauvais général, c’est deux excellents généraux. » L’on cite effectivement la déconfiture de deux manufactures coopératives, celles de Penndleton et de Paddiham, dans le Lancashire, qui n’ont pas pu marcher, parce que le plus modeste ouvrier y voulait occuper une place de contre-maître. Restent ensuite les grandes questions des salaires et de la répartition des bénéfices.

D’après les critiques fort judicieuses qui précèdent, les difficultés théoriques s’opposant à la réalisation du projet des producteurs associés seraient immenses, et la probabilité de leur succès plus qu’incertaine. Hé bien ! le vrai danger était ailleurs. Comme ils ont dû s’étonner, ces hommes sérieux et ces connaisseurs en économie politique, en apprenant que la ruine de quelques manufactures sociétaires a été incomparablement moins préjudiciable à la cause des Coopérateurs que de trop faciles succès, disons mieux, que des succès exorbitants ! — Pour peu qu’on y regarde de près, on verra s’expliquer ce paradoxe apparent par les lois mêmes de la nature humaine.


Les commencements de la minoterie de Leeds avaient été difficiles, ceux de la minoterie de Rochdale l’avaient été encore plus. Malgré leur entente des hommes et des choses, malgré leur inflexible volonté, les Pionniers avaient failli échouer, et même l’un d’eux était mort à la peine ; mais enfin, après bien des traverses, le triomphe avait récompensé leur dévouement. Les minoteries, les boulangeries qui fabriquaient le pain à la mécanique formaient la transition naturelle de la consommation à la production. Le moment décisif était venu. Sous peine de recul, c’est-à-