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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

plus tard, le mouvement se répandit sur toute la contrée et gagna Nottingham, Hull et Bristol. Les charpentiers de tous les grands charpentiers maritimes de la Clyde, de la Tamise et de la Wear, se mirent en grève. D’une étincelle, tombant là-dessus, eût pu allumer une guerre sociale, — l’étincelle ne tomba pas.

On est généralement loin de soupçonner l’importance des sommes confiées au pouvoir exécutif des Associations ouvrières. Pour ne citer que deux exemples, la somme encaissée en 1861 par l’Union des maçons a dû s’élever à 400 000 francs environ. — En 1858, les mécaniciens Réunis dépensèrent un million et demi de francs, sur deux millions et un quart qu’ils avaient à leur disposition. — D’aussi fortes sommes sont fournies par de pauvres prolétaires et gérées par des mains calleuses, avec une prudence, une exactitude et une probité qui feraient honneur aux gérants grassement payés des banques et des puissantes compagnies industrielles. Il faut remarquer, en outre, que les Trades’ Unions étant considérées comme des sociétés commerciales, n’ont pas la faculté de se faire enregistrer, selon les dispositions de la loi sur les Sociétés de bienfaisance (Friendly societies’act) et n’ont d’autre sauvegarde que la moralité de leurs administrateurs. — L’insinuation si souvent répétée que ces derniers grugent leurs camarades et abusent de la confiance qu’on leur témoigne déshonore ceux qui la mettent en avant. « Il en coûterait cher de jeter des doutes sur l’honorabilité d’un M. P. ou d’un banquier, s’écrie Westminster Review, mais l’on suppose sans doute que les ouvriers sont moins délicats ou moins susceptibles. » — Et voici comment s’exprime une lettre adressée au Times (Letter of right gentlemen) :

« Les ouvriers quittent leurs ateliers pour prendre place au comité exécutif. La plus haute indemnité qui leur soit allouée équivaut au prix de leur journée payée en fabrique ; beaucoup se contentent de moins, personne ne reçoit davantage. En aucun cas, le pouvoir ne doit être une source de profit. » Et le meneur (le leader) de la fameuse grève de Pression répondait en ces termes, aussi dignes que sévères, à Sa Seigneurie lord Brougham ; « Les dix membres du Comité et moi, nous avons reçu un mandat de confiance absolue ; pendant les trente-neuf semaines qu’a duré la grève, 2 400 000 francs ont été distribués en secours à 17 000 ouvriers et à leurs familles. Au milieu des pénibles souffrances que nous eûmes à endurer, notre gestion n’a été l’objet d’aucune plainte, d’aucun murmure. Nous avons rendu compte de chaque pièce de monnaie, nos livres étaient ouverts à un chacun, et sollicitaient l’inspection la plus minutieuse. Et la confiance que nos camarades nous témoignaient, ils nous la continuent encore aujourd’hui. De quel droit nous qualifie-t-on de « brouillons malhonnêtes, » alors surtout que nous ne sommes pas là pour répondre ? »

Intelligente ou absurde, admirable ou funeste, cette grève de Preston fut conduite avec une persistance et une force de sacrifice qui rappellent