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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

belles statues. Nous nous voyons donc obligé de lui consacrer un petit épisode, car il est impossible de passer par Coventry sans parler de la reine du lieu.


Lady Godiva était la dame d’un méchant seigneur qui accablait d’impôts ses malheureux vassaux. Les manants vinrent se plaindre à leur maître et lui dirent : Nous ne pouvons plus aller. À grand’peine nous sustentons notre pauvre vie. S’il nous faut encore payer tailles, impôts, corvées, gabelles et redevances, nous mourrons de malemort.

Ce qu’oyant, bonne Godiva fut fort navrée, et elle dit à son seigneur : N’entends-tu pas ces pauvres gens disant que si tu ne les prends en pitié, ils périront ?

Alors le chevalier se mit en moult grande colère et s’écria : « Par le sang, par le corps de Dieu ! bien ferai-je grâce aux croquants de la moitié de leur taille, mais pas avant que ma Lady, toute nue, sur son palefroi noir ne chevauche, par Coventry, d’un bout à l’autre bout ! »

— « C’est bien ! » répondit dame Godiva. Aux premiers rayons du matin, la belle et bonne dame monta toute nue sur son destrier, et, comme elle l’avait promis à son seigneur, elle traversa Coventry d’un bout à l’autre bout.

Or, la ville était déserte, et les sabots du cheval résonnaient dans la solitude. Tretous s’étaient cachés dans leurs maisons et ne soufflaient mot. Et personne n’y eut pour épier par la fenêtre, sauf un méchant petit tailleur derrière son rideau.

Ainsi fit bonne Godiva.


L’air est doux à Coventry, la population est principalement composée de bourgeois, bonnes gens en somme, flegmatiques et satisfaits. Des ouvriers en soie, doués par conséquent de goûts artistiques, fabriquent des rubans fort renommés en Angleterre. Travaillant isolément à leurs petits métiers, ces canuts se sont, jusqu’à présent, maintenus à côté de quelques grandes fabriques ; le prolétariat n’est pas encore tombé dans le paupérisme ; il a pu se conserver une aisance très-modeste, mais confortable encore. Dans cette ville, on fonda de bonne heure une Association entre travailleurs de l’industrie et de l’agriculture ; après avoir surmonté les premières difficultés on réunit jusqu’à 850 membres. Les magasins effectuèrent une vente annuelle de 300 à 325 000 francs, les bénéfices s’élevant à 20 % du capital engagé. Ensuite, une grande pièce de terre fut achetée en bloc, et parcellée entre les associés qui se délassaient des fatigues de leur métier sédentaire par quelques petites occupations en plein air, par la culture de