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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE

ses dividendes, puis, comme Moïse descendant de la montagne, il reparut la face resplendissante.

« Tout au contraire, un autre surveillant de la chose publique fulminait héroïquement contre les malversateurs ; au rebours de Ben, il ébahissait les gens par ses catilinaires incessantes, débitées d’une voix de Stentor. Il ne pouvait point prouver que quoi que ce fût allât mal, mais il ne pouvait pas admettre non plus que quoique ce fût allât bien. On l’invita aux séances du comité pour qu’il veillât lui-même à la bonne gestion des affaires, mais il était trop indigné pour remplir ses fonctions. La chose qu’il craignait le plus, c’était d’être détrompé, et, pendant toute la durée de ses fonctions, il resta assis le dos tourné aux membres du comité. Ce fut dans cette altitude hostile et même inconvenante qu’il débitait ses harangues. On n’a jamais pu savoir s’il avait comme un lièvre les oreilles derrière la tête, mais à moins d’avoir des yeux à l’occiput, il ne pouvait voir ce qui se passait. Jamais on ne vit membre de la gauche faire opposition plus décidée. À la fin, il fut corrompu et se déclara satisfait ; entendons-nous bien, il fut gagné par l’entraînement qu’exerce un succès légitime. Quand on distribua les dividendes derrière lui, il se retourna, empocha ses écus avec un reste de colère, et bien que depuis il n’ait jamais voulu avouer que les choses allassent bien, il a du moins cessé de proclamer qu’elles allaient de mal en pis.

Rien d’étonnant qu’une entreprise à laquelle le sexe fort opposait une résistance si obstinée, eût à lutter également contre des préjugés féminins : les ménagères se heurtaient avec répugnance aux prix fixes imposés par les coopérateurs ; il leur était par trop pénible de ne plus marchander et de ne plus aller et venir par la ville en cancanant un peu par-ci par-là. Mais le plus sérieux motif d’abstention de la part des ménagères provenait du refus absolu des Pionniers de leur faire le moindre crédit. Et plus moyen de faire danser l’anse du panier, plus moyen de se ménager quelques petits bénéfices sur la différence entre le prix réel et la déclaration officielle. On exposait à une Irlandaise le plan et le but de l’entreprise, et avec de grands efforts d’éloquence on finit par l’enrôler parmi les clientes. Quand on voulut lui délivrer les jetons de vente, elle demanda pour quoi faire ? — « C’est pour accuser le chiffre de vos achats, » lui répondit-on. « Fi, Messieurs ! » répliqua-t-elle avec indignation, fi ! jamais je n’aurais cru ça de gens qui semblaient si honnêtes ! Me vouloir trahir auprès de notre homme, de Michel ! »

« Quiconque a parcouru les districts manufacturiers du Lancashire, continue M. Holyoake, a été frappé de rencontrer un grand nombre de boutique, dont la plupart tiennent à la fois des articles de vêtement et de nourriture. Les ouvriers y vont chercher les aliments qu’ils mettent sur leur table et les habits qu’ils mettent sur leurs