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journal de la commune

Au lieu de ralliement, les gardes nationaux sous les armes font des difficultés pour recevoir parmi eux ce bourgeois : « Que vient-il faire ici ? » J’ai l’honneur d’être un peu connu du capitaine, qui veut bien répondre de moi et m’autoriser à prendre rang.

« — Où faut-il aller ?

« — Nous ne savons. Ordre de nous rendre à la place de la Concorde et d’y attendre un commandement ultérieur. »

J’obtiens le sac d’un voisin, le fusil d’un autre, et j’emboîte gauchement. On était généralement silencieux ; nous entendions la répercussion de nos pas dans les rues obscures. Très attentif aux moindres détails, je rêvais cependant. Il me semblait marcher le long de la mer, les flots de la plage remontaient avec effort de lourds galets, puis les flots défaillants se retiraient, et les galets criards roulaient et retombaient derrière eux pesamment…

Sur la place de la Concorde, aucun ordre ne nous attendait. Au bout d’une demi-heure on nous fît rompre les rangs, mettre les armes en faisceau.

En face de nous, à une faible distance se dressait l’obélisque de Louxor, si étrangement dépaysé, il ne sait ce que signifient la cité et les générations d’hommes qui l’entourent : ses fondements sont encore humides du sang de Louis XVI et de Marie-Antoinette, de Chénier et de Charlotte Corday, de Danton et de Saint-Just, répandu tout autour. — En attendant le signal du destin qui allait s’accomplir, c’était le moment et le lieu de repasser encore une fois sa vie et de s’interroger encore une fois. Qu’as-tu fait ? Que veux-tu faire ? Pourquoi es-tu républicain révolutionnaire et socialiste ?

Ça et là quelques ombres noires s’agitaient bruyamment sur le bitume. Au-dessus de la terre ténébreuse, la lune brillante, sereine et triste flottait solitaire dans les cieux vides.

À partir de onze heures et demie, quelques estafettes passent au galop. On leur crie : « Quelles nouvelles ? Quelles nouvelles ? »

« Tout va bien. Ils doivent être à Versailles en ce moment… L’Assemblée ne les a pas attendus. Les monarchistes sont partis, ils se sont enfuis, les orléanistes d’un côté, les légitimistes de l’autre… »