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journal de la commune

divers groupes et sociétés apportèrent des listes imprimées qu’ils distribuaient dans la foule. On prenait la liste dont la provenance était la plus sympathique, on se décidait pour un candidat suivant l’étiquette qu’il avait prise ou qu’on lui avait imposée. Les deux listes avec lesquelles s’était faite l’élection et que le plus souvent on adoptait sans les discuter — en avait-on le temps ? — ont été celles portant l’en-tête de « Liste du Comité central » et « Liste de l’Internationale ». Ces deux listes résumaient en effet la situation et précisent nettement le caractère des élections du 26 mars. Les élus ont été les hommes de la garde nationale et les hommes de l’ouvrier. Peu ou point de mélange. Tous les nommés sont ou se prétendent ennemis du bourgeoisisme et amis du prolétariat ; tous sont ou se prétendent les rouges adversaires des républicains bleus. C’est la révolution sociale qui, en ce jour mémorable, est sortie du scrutin — au hasard, semble-t-il à première vue ; fatalement, quand on y regarde de plus près.

Électeur lui aussi, celui qui écrit ces lignes se trouve fort empêché pour son compte, car il eût préféré ne pas voter que de remettre, pour sa vingt-millième part, le sort de la patrie en des mains inconnues. Il présida un de ces clubs en plein vent, dans lequel des citoyens qui, pour la plupart, ne s’étaient jamais parlé jusque-là, se faisaient leurs confidences réciproques sur les mérites ou démérites des candidats qu’ils croyaient connaître. On arriva ainsi à former une liste quelque peu raisonnée, laquelle après trois quarts d’heure de discussion fut adoptée à l’unanimité des assistants. J’ignore si on lui fut généralement fidèle, toujours est-il qu’un seul des cinq candidats qu’elle portait a été élu. L’incident n’est relaté que pour indiquer le point de vue du spectateur ; dans un récit consciencieux des faits, il importe de ménager au lecteur des marques de repère, afin qu’il puisse juger entre le narrateur et sa narration. Qu’il soit logique ou illogique en ceci, le témoin qui rapporte ces faits est un républicain révolutionnaire, et cependant il n’est pas partisan des cahotements trop brusques ; on veut avoir le plaisir de démolir, c’est pour avoir la joie de rebâtir, et, sachant que la nature dans ses évolutions successives ne procède point par sauts et soubresauts, il arrondit volontiers par quelques tempéraments les angles