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journal de la commune

d’un monument romain. Que m’importe le Panthéon maintenant !

La rive gauche de la Seine est tout entière entre les mains de l’armée versaillaise, qui, maîtresse maintenant du fleuve et d’une moitié entière de la ville, inonde avec ses forces s’accumulant d’heure en heure les Parisiens dont les hommes, diminuent à chaque instant, sont acculés dans des espaces de plus en plus restreints. Si, depuis la livraison des portes, l’issue de la lutte ne pouvait être douteuse, sa terminaison fatale est d’une écrasante évidence. Et, cependant, les gardes nationaux résistent toujours, ils ne cèdent pas le terrain pouce à pouce, ils le gardent tant qu’ils sont vivants ; tués, ils l’occupent encore par leurs cadavres. — « Quelques lâches », comme les désignait M. Thiers, une vile poignée de factieux ! »

La barricade où j’aurais pu être, si je l’eusse voulu, est à quelques centaines de mètres éloignée de la maison que j’habite. Elle est à l’extrémité du pont d’Austerlitz, battue en brèche par une formidable batterie, à l’autre tête du pont par deux ou trois batteries, au boulevard Saint-Germain, par une autre au Jardin des Plantes. En sus la gare d’Orléans, transformée en caserne, et les murs de la berge, percés en meurtrières, canardent incessamment les défenseurs de la barricade, soutenue de bien loin par quelques obusiers au sommet du Père Lachaise.

Quelques coups et le vacarme commence, c’est assourdissant, on se demande si dans les grandes forges et chaudronneries il se fait autant de bruit. Les décharges succèdent aux décharges, la cervelle est ébranlée par un mélange indicible de craquements et crépitements, de broiements et déchirements, de roulements et sifflements.

Ces divers bruits proviennent de divers projectiles à diverses distances ; nous sommes sous le nuage de grêle, à un bord seulement. Des obus éclatent sur le quai ; ils s’enfoncent dans l’eau, allument des bateaux amarrés ; des balles tombent dans notre cour, des biscayens cognent contre nos murailles et notre toit. En regardant par la fenêtre du côté de la batterie qui nous fait face, je vois des débris de chaux et de plâtre tomber à mes pieds : un morceau de fonte arrive juste sur moi, à quelques pieds, mais une ardoise le fait dévier, je l’ai dans ma poche. — Décidé-