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journal de la commune

cela que Versailles ne se vante pas d’être instruite jour par jour des délibérations les plus secrètes du Comité de Salut Public. Le conseil Thiers, Favre, Picard, Mac-Mahon sait infiniment mieux de nos affaires ce qu’il ne voudrait pas en savoir que nous ne pensons ce que nous en voudrions croire. Nos dictateurs sont ignorants, et il n’y a pas une presse désintéressée pour les éclairer ; ils sont maladroits et l’on ne connaît leurs maladresses que lorsqu’il est trop tard pour les réparer.

Autre malheur : la presse n’étant libre ni à Paris ni à Versailles, les journaux aboient ici, ils hurlent là, les chiens font un tel vacarme, sans compter les canons, que les hommes raisonnables ne s’entendent pas parler. Toute conversation sensée devient impossible. On en est arrivé à s’injurier et même à se calomnier de la meilleure foi du monde. Nos esprits ne se repaissent plus que d’atrocités. Si un étranger, spectateur de nos affreux déchirements, croyait à la fois toutes les horreurs que les Versaillais racontent de la garde nationale et toutes les horreurs que les Communeux racontent de l’armée versaillaise, l’étranger conclurait que le Français de toute provenance, dans Paris et hors de Paris, est un monstre hideux. Telle doit être d’ailleurs l’opinion parfaitement exprimée des officiers prussiens causant avec les officiers bavarois au fort de Saint-Denis, buvant notre vin de Bordeaux, accompagné de quelque pâtisserie légère et, entre deux cigares, braquant leur longue-vue sur les endroits où nous nous massacrons. Si l’Assemblée de Versailles, si le conseil Thiers, si la Commune de Paris n’eussent été dépourvus d’hommes d’État, ils auraient les uns et les autres ménagé la liberté de la presse comme le plus précieux moyen de salut. En permettant à d’autres qu’aux enragés de parler, on n’attiserait pas, comme on le fait, toutes les fureurs de la haine. Les choses en sont venues si loin qu’un homme juste peut redouter toute victoire. Le peuple, foncièrement bon et généreux, n’abuserait pas longtemps de sa victoire, mais on ne peut penser sans frémir à ce que pourrait être le triomphe de M. Dufaure !