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journal de la commune

Courons au désastre !

Sur l’esplanade des Invalides, nous rencontrons une masse hurlante. Au milieu, plusieurs gardes nationaux poussant en avant par le corps et les épaules un malheureux, pâle et hagard, muet, furieux, impuissant : sous sa chevelure rouge, la nuque était sanglante des griffes qui l’avaient saisie. On marchait vers un mur blanc. « C’est là, criait-on, c’est là qu’il sera fusillé ! » Arrive un officier. Il est à cheval. Il s’enquiert… Je parviens à lui glisser un mot : « Innocent ou coupable, il faut que cet homme soit interrogé sérieusement. » L’officier était déjà de cet avis, et l’on se dirige vers le Ministère de la Guerre.

Arrivée aux grilles, la foule ne lâche sa victime qu’avec une sorte de rage : « Vous verrez qu’ils le feront échapper comme tous les autres ! » Je faillis me faire un mauvais parti en plaidant la nécessité d’un interrogatoire ; on m’accusait déjà d’être complice. Et l’on criait : « Il faut qu’on nous fusille des otages, des otages sérieux ! »

De noirs tourbillons de fumée nous guident vers le lieu du sinistre. La chaussée, les trottoirs se jonchent de verres, de débris. Nous rencontrons des malades de l’hôpital du Gros-Caillou, en bonnets de nuit, en robe de chambre, des hommes sans pantalon, des femmes en simple jupe, ils sont jaunes, dévastés. Des blessés s’enfuient clopin-clopant, sur des béquilles ; sur des brancards on transporte des masses sanguinolentes ; entre des manteaux et des matelas on distingue vaguement des formes humaines. Voici un vieillard : nous enveloppons d’un mouchoir sa tête trouée. Une pauvresse frissonne de tous ses membres, sa mâchoire claque de frayeur, elle se tient debout néanmoins, de la tempe et des joues, le sang ruisselle sur sa robe déchirée. Une femme est assise sur le trottoir, rouge, effarée, muette, dans tout ce tumulte elle ne voit rien, n’entend rien, elle est folle. On a vu passer une échevelée, emportant dans ses bras le corps sanglant et noir de sa petite fille ; un enfant de cinq ans se traînait accroché à sa jupe, elle allait criant : « Mon mari ! mon mari ! » et tomba évanouie. Une autre s’est jetée par la fenêtre, — tuée raide.

Déménagement partout. Un homme emporte un enfant à chaque bras, un troisième sur le dos. Serins et étourneaux