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journal de la commune

arrière en regardant le ciel bleu. Patatras ! elle git dans un fumier, profond de vingt à trente pieds, elle est tombée plus bas que le fumier et s’enfonce à travers le bitume. En l’air déjà, la colonne s’était cassée, la tête du parjure était séparée du tronc, le bras du meurtrier était coupé, la main qui tenait la Victoire était brisée.

« Vive la République "Universelle ! » crie-t-on de tous côtés. On s’approche, on entre dans le nuage de poussière. « Comment ! la croûte de bronze était si mince ! Comment, ce faux empereur romain qu’on croyait si grand, était aussi petit que ça ! Et de près, que sa figure est vilaine et laide ! Il lui valait bien la peine de se déshabiller de sa redingote grise, de ses bottes et de son petit chapeau, pour se mettre en chemise et caleçon, manière d’indiquer qu’il entrait dans son apothéose, et qu’il ne daignait pas rester simple empereur des Français, mais qu’il voulait être sinon Dieu, du moins empereur du monde entier. Voilà ce qui l’a perdu, voilà pourquoi on lui piétine dessus, et voilà comment on lui crache maintenant à la figure ! M’en allant, je rencontre le correspondant d’un journal allemand, il arrivait essoufflé. C’était un ancien ami. Je m’attendais à ce qu’il me féliciterait, l’idole de l’Erzfeind ne venait-elle pas de tomber, renversée de nos propres mains. Il était dépité : « Vous attentez aux droits historiques ! »

En réfléchissant, je finis par comprendre qu’en mettant de côté Austerlitz et Iéna, on ôtait par cela même quelque importance à Sedan, la contrepartie de ces deux batailles. N’importe, viendra le jour, espérons-le, où, grâce à la fraternité des nations, la France et l’Allemagne de l’avenir ne seront pas plus fières ou chagrines de leurs conquêtes ou défaites, que la France d’aujourd’hui n’est fière ou chagrine des péripéties diverses de la lutte épique et séculaire entre l’Aquitaine et la Lorraine.

La chute de la colonne Vendôme, c’est l’arrachement de l’idée napoléonienne du cœur de la France. Je ne sais si on la rehissera jamais sur son piédestal, si on rafistolera ce vieux bronze comme les gagne-petit raccommodent les soupières cassées, mais je sais que le coup qui brise l’idole est mortel pour le dieu. Je ne sais pas si, fragiles éphémères voletant pendant trente, quarante ou cinquante