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journal de la commune

Maintenant qu’il n’aura plus la colonne à regarder, le Français ne sera plus si fier, et ce sera tant mieux !

« Attendu, avait dit la Commune, que la présence de la colonne Vendôme est une insulte perpétuelle à l’humanité et la négation de la fraternité des peuples, la colonne sera démolie ! » Posé en ces termes, le décret de la Commune était indiscutable ; il fallait que la colonne tombât devant la République Universelle.

En province, le décret avait soulevé de terribles clameurs. Au dire de tous les ratapoils et de toutes les vieilles culottes de peau, Paris, privé de sa colonne, à laquelle affluaient jadis, le 5 mai, les Vieux de la Vieille Armée, n’était plus qu’une Mecque sans Casbah, qu’une Jérusalem sans Temple de Salomon, qu’une Moscou sans Kremlin… La Vieille France de la « Grande Nation », de la « Gloire et de la Victoire », n’est pas encore tout à fait morte, comme il serait raisonnable de l’espérer ; en s’obstinant à regarder Austerlitz et Iéna, elle pouvait réussir à oublier Sedan ; en fredonnant quelques flonflons du gaudrioleux Béranger, elle pouvait chasser des remords de Napoléon III.

On ne se doutait pas combien la province tient à sa colonne. On eût dit que cette asperge était le rejeton de la plante rurale, apparaissant soudainement au centre de Paris. Et la province, qui criait naguère sur tous les tons : « Que nous importe Paris ? » a réclamé tout à coup : « Mais Paris, c’est la concentration même de la province, et tout ce que possède Paris nous appartient. La colonne, c’est notre plus belle page d’histoire, et nul n’a le droit de nous la déchirer. Et de plus, c’est une magnifique œuvre d’art ; à preuve que c’est une contrefaçon de la colonne Trajane. » Je sais des habitants des départements qui se sont risqués dans cet horrible Paris pour contempler encore une fois la colonne.

Ici, les défenseurs de cet objet étaient bien plus modérés dans leurs arguments : ils alléguaient pour la plupart qu’à moins de vouloir ressembler à un de ces ennuyeux villages de quatre à cinq cent mille âmes aux États-Unis, Paris ne doit pas, à chaque révolution, se divertir des monuments de l’époque antérieure. Ils alléguaient cette merveille de Florence qui est devenue le plus beau et le plus complet musée archéologique, grâce au soin pieux avec lequel on