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journal de la commune

derniers mois de l’Empire — affaire Blanqui, dite des Pompiers de la Villette — : à travers les barreaux de la cage, le mari et la femme se tendirent la main et se regardèrent dans les yeux. Puis la femme se retira, haute et ferme, sans mot dire, sans un pleur dans les yeux. Car elle aimait son homme d’un amour plus puissant que la mort.

Notre amie, Louise Michel, de la Société pour la revendication des droits de la Femme, est à Neuilly depuis un mois peut-être. C’est une personne simple et douce, d’une modestie, d’une humilité, d’une renonciation à soi-même que pourraient admirer bien des partisans de l’Imitation de Jésus-Christ. Sous sa figure un peu moutonnière, se cache une résolution indomptable, c’est une lionne sous une toison de brebis. Naguère elle vivait d’abstinence, d’études, elle était triste et mélancolique, mais les fatigues la fortifient et, depuis qu’elle partage l’ordinaire du garde national, des haricots, une tranche de bœuf ou de cheval qu’elle fait griller au bout d’une fourchette, à la fumée d’un feu en plein air, depuis qu’elle risque d’être tuée cent fois dans les vingt-quatre heures, elle embellit et devient d’une gaieté charmante ; mais elle reste d’une sincérité absolue et semble toujours incapable de comprendre le mal… Et cependant, elle en est environnée. C’est une âme de vierge, une âme comme celle de Jeanne Darc ou de Garibaldi, une âme de héros, faite de droiture et de simplicité, de force et de bonté. Nous l’avions côtoyée pendant plusieurs mois ayant pour elle une estime vaguement bienveillante, nous l’ignorions comme elle s’ignorait elle-même ; elle surgit maintenant, grande dans les grandes choses.

Si la guerre se prolonge, nous aurons certainement des bataillons entiers de femmes, même les jeunes filles se lèveront en masse, comme le demande déjà Madame André Léo.

Nos poètes romanciers, moralistes et dramaturges qui, en fait de femmes, ne connaissent guère que les cocottes du boulevard, les comtesses consomptives, les marquises à vapeurs, les dames Aubray, Benoiton, Gavaud, Minard, etc., découvriront peut-être maintenant que des rangs du peuple sort une nouvelle génération de femmes, laquelle n’a pas été élevée sur les genoux de l’Eglise. Elles veulent être libres, elles le sont déjà. Avec elles, l’homme devra rivaliser, non plus de dissipation et de frivolité, mais de cons-