Page:Reclus - La Commune de Paris au jour le jour.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
journal de la commune

flottant sur son Hôtel de Ville le drapeau rouge de la Fraternité des peuples, il va toujours au combat aux cris de : « Vive la République Universelle ! » Paris a la conscience qu’il lui faut vaincre et mourir peut-être, pour accomplir la grande rénovation moderne sociale, l’affranchissement du Travail, exploité, rançonné par le Capital. S’il faut mourir, Paris mourra, et sans trop de regrets : car il n’a plus peur de la mort, depuis qu’il a cessé toutes relations avec « le nommé Dieu », depuis qu’il est bien convaincu que quand on est mort, c’est pour longtemps, il est plus généreux de sa courte vie, la seule qu’il aura. En cessant d’être spiritualiste, il est devenu héroïque, semblable au Don Juan de Molière, primesautier, gai, dépensier de sa vie, il abandonne le ciel au valet Sganarelle, lâche, cocu et piétiste. Ses ennemis le disent débauché, ivrogne, fainéant, dissipateur, lui attribuent toutes les infamies de Rome, de Sodome et de Gomorrhe. Mais le peuple des ateliers n’est point celui des Tuileries et du Jockey Club, de la Bourse et de la Maison Dorée. La vérité est qu’il n’est pas de grande ville dont la population prise en masse soit plus intelligente et moralement plus saine, plus sympathique, plus équitable. La ville avec ses 1 500 000 habitants, fuyards non compris, la ville avec ses immenses trésors, publics et privés, appartient absolument à 200 000 voyous, comme on dit, aux crapules de Montmartre et aux charognes de Belleville, pour employer le langage élégant des amis de l’ordre ; jamais ville ne fut plus rangée, plus paisible à l’intérieur. On mange tranquillement la soupe en famille, pendant que les bombes Thiers tombent par ci par là dans le quartier. On va à ses affaires, en longeant les maisons, du bon côté de la rue, crainte des éclats d’obus. Quand son tour est venu, ou qu’on est réveillé soudain par les roulements du tambour peuplant d’alarmes le silence des nuits, le simple garde national, le brave fédéré embrasse encore sa femme, baise une dernière fois le dernier-né et s’en va jouer de la baïonnette à Neuilly, Asnière ou Montrouge ; il serait moins dangereux d’aller à la chasse du tigre dans les jungles de l’Inde. En allant à la bataille, à la mort peut-être ils vont au devoir. On distingue le bataillon de marche du bataillon sédentaire, simplement à son allure plus ferme et plus fière, au reflet de tristesse sur les visages sérieux. Non, jamais