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journal de la commune

donner, je lui donnerai tout ce que j’ai, toute mon activité, mes soucis de jour et de nuit, ma responsabilité.

J’ai besoin de me sentir le frère et l’égal d’un de nos simples gardes nationaux. Ma conscience est émue quand, au crépuscule, je vois défiler un de leurs bataillons de marche allant au fort d’Issy ou à la turie de Neuilly. En avant, la musique remplit les airs et les cœurs des accents du Chant du Départ. Mais, dans les rangs, on est silencieux : les jeunes gens ont un entrain qui ressemble à la gaieté, mais les barbes grises sont tristes. Çà et là des femmes dans les rangs, ambulancières pour la plupart, on ne les distingue que par un petit bidon en fer blanc, par des brassards. Il y a des pères qui portent le dernier né dans leurs bras, un moutard s’accroche à leur capote, la mère marche à côté d’un pas ferme, portant le fusil du mari ; je salue leur drapeau rouge, tête nue, je les regarde passer.

Vendredi, 5 mai.

On pouvait s’y attendre, la démarche de paix et de conciliation entreprise encore une fois par les francs maçons de Paris auprès du Dictateur de l’Ordre, a eu pour résultat le plus complet insuccès. Le chef du parti des gens honnêtes et modérés avait déjà répondu : « Il y aura sans doute quelques maisons brûlées et quelques hommes tués, mais force restera à la loi. M. Thiers a daigné écouter la députation à laquelle il a répondu brièvement et froidement, « Je n’ai rien à ajouter, rien à répondre de ce que j’ai déjà déclaré à vos collègues. »

Donc, nous en sommes toujours là, il y aura des maisons troués et des hommes tués, mais force restera à la loi. Car le petit Thiers tout entier, c’est la Loi, et Paris, c’est le crime.

En France, dès qu’un homme, dès qu’un parti se sait ou se croît le plus fort, vite il dit : « Je m’appelle la Loi. L’homme en face de moi est un criminel que nous allons rouer vivant et couper en quartiers. Le parti qui m’est opposé est le Parti du Crime. »

Sans remonter bien haut, Charles X parlait ainsi, la veille des journées de juillet. Louis-Philippe parlait ainsi à Trans-