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journal de la commune

maintenant, ils se taisent pendant qu’on nous accable. Ils se taisent, mais après avoir dit à la France et à l’Europe : « Paris a tort, ne venez pas à son secours, tant pis pour lui. »

Mercredi, 3 mai.

Décidément, le point le plus faible de Paris, c’est celui qui devrait être le plus fort, le point central de l’Hôtel-de-ville ; ce qui nous rassure le moins dans la Commune, c’est la Commune elle-même. Les journaux donnent le compte-rendu des délibérations par lesquelles nous apprenons que nous sommes à la merci d’une Dictature nouvelle, qui a osé prendre le terrible titre de Comité de salut Public. La mesure est tout à fait impolitique : la preuve en est qu’elle n’excite ni frayeur ni enthousiasme. Cette appellation, la plus effrayante pour les oreilles françaises, ne sera certes justifiée ni en bien ni en mal par les cinq bonhommes qui en ont été décorés. Le comité de 93 plongea ses mains dans le sang, mais sauva la France. Le nouveau comité trempera sans doute ses mains dans l’encre et rendra peut-être force décrets, mais si ce n’est pas lui qui nous perd, ce n’est pas lui qui nous sauvera. Ni amis ni ennemis ne le prennent au sérieux ; c’est avec une moue dédaigneuse ou des haussements d’épaule qu’on a appris les noms des personnages responsables maintenant du salut de la Patrie. Grand mot pour de petites gens. Le titre de Comité de Salut Public ne leur donne pas un atome de puissance de plus mais pourrait soulever de vaines frayeurs et des répulsions non justifiées, si avant tout il ne paraissait ridicule. On dirait des mandarins qui ont revêtu un costume effroyable, avec des devises sur le ventre et dans le dos : « Tremblez ! je suis l’invincible Tigre. »

Vainement, quelques orateurs ont affirmé que nous sommes environnés de scélérats et qu’il s’agirait de faire tomber la tête de quelques traîtres, le public n’a pas voulu s’émouvoir davantage. On pardonnerait la chose, mais tout ce qui ressemble au pastiche et à la déclamation nous indispose singulièrement.

On en voulait à Cluseret à tort ou à raison, on le soupçonnait de tendre à la dictature, et de n’être, malgré toute son ambition, qu’un incapable, et la Commune donna tous