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journal de la commune

Ils se sont arrangés de manière à surveiller tous les alentours, à pouvoir même fouiller avec leurs excellentes longues vues les profondeurs de l’horizon, sans être distingués de nulle part. Leur architecte a réussi à cacher une tour, à la dissimuler, à lui donner l’air aveugle. Personne ne la voit, personne n’y fait attention, et cette tour voit tout ! Ah ! chers co-républicains aux discours si bruyants et sonores — et vous, braves communeux dont les canons mal pointés font tant de bruit sans blesser personne, que n’avez-vous pris quelques leçons de savoir-faire chez les Révérends Pères jésuites !

De la tour je regarde le duel d’artillerie entre les batteries versaillaises de Châtillon, de Meudon, de Clamart et les batteries des forts de Vanves, Issy, Montrouge, c’est ennuyeux à la longue quand on n’est pas bon juge des coups et quand on n’y risque rien. Ce qui attire ma pensée, c’est le drapeau rouge au sommet de la lanterne du Panthéon.

Je l’ai vu arborer le 31 mars, peu de jours après l’avénement de la Commune. Le jour était pluvieux, des nuages noirs s’agitaient sur un ciel gris. Par dessus l’énorme base sa magnifique rotonde, par dessus la colonnade le vaste dôme, au dessus de la coupole, au point profond du zénith, on venait de hisser la bannière du Peuple ; à hauteur vertigineuse s’agitaient quelques myrmidons humains ; la croix déracinée pendillait dans les airs au bout d’une corde. Sur la place défilaient bataillons après bataillons, haies de bayonnettes, broussailles mouvantes ; les drapeaux tricolores s’inclinaient l’un après l’autre devant la rouge bannière qu’un simple populo agitait avec fierté. Les tambours battaient aux champs et les colombes effrayées de tant de bruit s’envolaient à tire d’ailes.

« On se tire ces coups de canon, pensais-je, on se mitraille sans trêve ni merci, sans qu’aucun indice montre la possibilité d’une transaction, parce que ce chiffon rouge, symbole de la royauté du peuple, s’étale ici, au plus haut point de Paris, sur la montagne de Sainte-Geneviève. C’est notre Capitole. Les révolutions et les réactions qui se succèdent se disputent le Panthéon. Quand la Révolution triomphe, le Panthéon est le Panthéon, le temple de la vertu civique, quand la réaction a triomphé, le Panthéon