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journal de la commune

M. Thiers avait donc cru les événements suffisamment clairs et avait expédié son Assemblée à Versailles où elle devait légitimer le coup d’État contre Paris en s’y associant. L’irritation de Paris contre le gouvernement et de la province contre Paris avait été savamment amenée et savamment entretenue depuis l’affaire des canons de Montmartre, dans laquelle les gardes nationaux avaient dix fois raison. Car ces canons appartenaient de droit à la garde nationale, soit pour les avoir payés de l’argent de ses souscriptions, soit pour en avoir hérité de l’armée régulière qui avait officiellement cessé d’exister et n’était plus que prisonnière de l’Empereur Guillaume. N’importe, l’affaire de ces canons eût pu s’arranger dix fois si on eût voulu, mais on ne voulait pas. Montmartre et Belleville pointaient leurs canons sur Paris, les lâches, les pillards et les communistes bombardaient la cité bourgeoise à leurs pieds : cela faisait trop image, les roués de la diplomatie n’avaient garde de se priver de cette fiction poétique. — De l’Agence Havas, du cabinet de M. Thiers par ci, du cabinet de M. Leflô par là, de chez Vinoy et Jules Favre partaient les nouvelles les plus fausses et les plus sinistres qu’on adressait par télégrammes aux journaux dévoués de la province, car, à Paris, il eût été catégoriquement impossible de les mettre en circulation. L’émeute tardant à venir, le général Valentin, préfet de police, en organisa lui-même une aux Gobelins avec le concours de ses subordonnés ; Thiers, le médecin en chef de la France, appliquait sur la poitrine de Paris des vésicatoires, des dépôts de cantharides, afin de déterminer un abcès, et, montrant l’inflammation, il criait aux provinciaux naïfs : « Regardez cette horreur ! »

Selon lui, le moment était venu de percer l’anthrax à la gorge : l’Assemblée des ruraux était convoquée à Versailles pour le 20, dans trois jours. Trois jours et trois nuits, c’était plus qu’il n’en fallait. Thiers se souvenait avec admiration du traquenard de Décembre, dans lequel il était tombé lui-même après avoir aidé à le préparer. Il voulait en donner une édition nouvelle, revue et perfectionnée.

La ville était plongée dans l’obscurité, ensevelie dans le sommeil — car, depuis que Paris n’est plus une ville de plaisir, mais une ville de deuil et de souffrance, on travaille le jour et on se repose la nuit — lorsque les rares passants