Page:Reclus - La Commune de Paris au jour le jour.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
96
journal de la commune

véritable antithèse par sa phénoménale rapidité de perception. Son regard tombait droit et juste sur le détail essentiel qu’immédiatement il généralisait à outrance. Quant aux autres détails, presqu’aussi essentiels, il ne les apercevait que confusément, et quant à ceux d’importance secondaire ou tertiaire, il était aveugle. Au fond il avait toujours raison en théorie ; en pratique il avait tort presque toujours et, dans le trajet de la conception à l’action, sa pensée presque géniale, aboutissait à quelque déplorable folie. Quand on a vu Flourens, on comprend pourquoi, chez les anciens Juifs, chez les arabes modernes, un peu partout et dans tous les temps, les populations n’ont jamais nettement distingué entre le prophète et l’insensé, entre le voyant et l’inconscient.

L’intelligence de Flourens, je la compare volontiers à des éclairs brûlants et brillants, éclatant tout d’un coup dans la nuit, ce sont d’éblouissantes illuminations, durant un fragment infinitésimal de seconde, mais entre les décharges, dans les longs intervalles, tout le paysage reste plongé dans les ténèbres profondes. Gustave Flourens était l’homme des extrêmes : après s’être montré dans sa jeunesse d’une timidité excessive, dès que le regard paternel eut cessé de le fasciner, il se trouva soudain être d’une témérité non moins excessive : Jusqu’en 1865, il ne s’était occupé que de science, il avait pour ambition de succéder à son père. En 1865, il professait au collège de France, comme suppléant de son père. Son cours, publié d’abord dans une Revue, puis en volume, intéressa le jeune public, mais déplut au parti clérical et à M. Duruy, le ministre libéral, qui, l’année suivante, lui refusa l’autorisation nécessaire pour reprendre son enseignement. Le jeune homme partit alors pour l’Angleterre et la Belgique. Il donna des conférences à Bruxelles. Bientôt il écrit des articles dans les journaux républicains, l’Espiègle et la Rive Gauche. En 1865, pour notre malheur et pour le sien, ce brave Gustave se jeta dans la Révolution à corps perdu.

L’instinct du mouvement le poussa à Constantinople. Il voulait réveiller cet immobile Orient, qui ne dort pas toujours, comme on croit, mais qui rêve, cet Orient, qui songe plutôt qu’il ne sommeille. Sur les rives du Bosphore il ouvrit des cours en langue française qui attirèrent de nombreux auditeurs. Pour ses allées et venues subséquentes, nous