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journal de la commune

lendemain de décembre, terreur semblable n’avait épouvanté nos populations.

Pour la Commune de Paris, la chute de la Commune de Marseille est un grand malheur, d’un triste présage, et certainement un échec. Et si Paris se laissait vaincre il saurait ce que c’est que de tomber dans les sanglantes mains de nos vaillants généraux, dans les mains graisseuses de nos procureurs ; il connaîtrait la générosité des Thiers, des Favre, des Simon et des Lorgeril.

Pâques, 9 avril.

Mon frère a disparu au combat de Châtillon. Nous avons quelque raison de le croire prisonnier, mais personne à notre connaissance ne l’a vu à Versailles, ni à Satory. Nous avons visité les forts avoisinants depuis Bicêtre jusqu’à Issy : l’état-major de la place Vendôme nous a communiqué la liste des blessés ; nous avons cherché dans maint hôpital, mainte ambulance. Reste une dernière enquête. Il est peut-être parmi les morts inconnus, déposés au cimetière Montmartre. Un ami m’accompagne.

Le soleil est brillant, les arbres, la végétation des tombes sont en fête. Nous sommes pas seuls à faire le douloureux pèlerinage, tous en silence, nous montons le tortueux sentier. Enfin, nous entrons dans le sanctuaire de la mort… Il n’y était pas.

Cinq cadavres étaient couchés là : trois hommes jeunes et deux qui grisonnaient. Il n’y avait pas de blessures hideuses, les figures violacées étaient calmes, tristes, honnêtes. Des ouvriers évidemment, et non point des pillards et des assassins, comme M. Thiers le hurle à la France. Le spectacle était d’une mélancolie auguste. Ces cinq travailleurs étendus morts semblaient dire : « Notre cause est immortelle » !

Ah ! si les représentants de Paris pouvaient convoquer l’Assemblée autour de ces cadavres : « Lorgeril, approche ! Regarde, Belcastel ! et toi, duc d’Audiffret Pasquier, touche ce front sanglant ! » si ceux qui décrètent la guerre pouvaient une fois en contempler la douloureuse réalité, seuls à seuls, en face de leur conscience, est-ce qu’ils crieraient à Vinoy : « Égorge encore ! »