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l’homme et la terre. — palestine

arroser des jardins et des champs, mais pour faire pousser les plantes nourricières de leurs dominateurs. Il est vrai que, dans leurs récits, les Israélites tâchèrent de rehausser cette époque de souffrance en donnant un rôle prépondérant à quelques-uns des leurs. Au début, Joseph aurait été le grand usurier qui enseigna aux Pharaons l’art d’asservir un peuple pour le monopole des blés. À la fin de la captivité, un autre Hébreu, Moïse, agit surtout comme grand magicien ; grâce à ses artifices, le peuple, chargé de tous les trésors des Egyptiens, fut mis à même de franchir la mer Rouge, poursuivi par une armée qui, derrière lui, se noyait dans les flots.

D’ailleurs, les légendes relatives à cette période ne peuvent contenir qu’une très faible part de vérité, car elles présentent un chaos de contradictions. D’après tel verset de la Bible, le temps du séjour des Hébreux en Égypte aurait été de quatre générations, d’après un autre, de plus de quatre siècles. Un passage nous dit que les Hébreux réfugiés en Égypte comprenaient la seule famille de Jacob[1] ; mais on se demande comment ce groupe unique aurait pu fournir par sa descendance, pendant le séjour en Égypte, la prodigieuse armée dont nous parle le recensement du Pentateuque[2] : malgré l’oppression, malgré le massacre des enfants mâles par les Egyptiens, les maladies et les fléaux de toute sorte, les petits-fils de Jacob, s’abattant comme des sauterelles sur les sables du désert, auraient été au nombre de plus de six cent mille individus portant les armes, ce qui, avec les femmes et les enfants, eût représenté au moins deux millions d’êtres humains.

Quoi qu’il en soit, le fait principal subsiste — avant de se présenter dans cette « Terre Promise » qu’ils disaient leur avoir été spécialement réservée — et qui, depuis, grâce à leur long séjour, est devenue la « Terre Sainte » —, les Hébreux avaient eu à subir les influences les plus diverses en des milieux très différents par la nature et leurs habitants. Ils avaient vécu sur tout le pourtour du désert qui, de l’Arabie, se prolonge vers les montagnes de l’Asie Mineure, à l’est dans la Babylonie, au nord vers le Haran, à l’ouest vers Damas et la Syrie, au sud-ouest vers l’Égypte ; par un vaste circuit, ils avaient mis des siècles à voyager de l’Euphrate au Nil, et recommencé leur

  1. Genèse, chap. 47.
  2. Nombres, chap. i, v. 46.