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l’homme et la terre. — palestine

parce que les récits traditionnels l’identifiaient avec un grand réformateur qui supprima les sacrifices humains. C’est lui, disait-on, qui avait interdit aux pères de tuer leurs fils, de les dépecer devant les dieux, et qui leur avait ordonné de substituer à la chair humaine celle du chevreau. Cette partie de la légende est reproduite dans la Bible par le récit bien connu du « Sacrifice d’Abraham » où l’on voit l’ange du Seigneur arrêter le bras levé du père et une chèvre prendre sur l’autel la place de l’éphèbe Isaac. Mais là cessent les analogies : l’Abraham hébreu n’est pas un roi sédentaire, un demi-dieu à la longue robe, siégeant majestueusement sur un trône, c’est un chef de nomades parcourant les plaines à l’orient du haut Euphrate. Disposant d’une véritable armée de serviteurs, il faisait pâturer tout un vaste territoire par ses bœufs, ses brebis, ses chèvres. Il possédait aussi des ânes pour montures, des chameaux comme bêtes de somme, mais ne semble pas avoir utilisé le cheval, qui était encore à cette époque un animal de luxe réservé aux rois pour l’ardeur des batailles et la majesté du triomphe.

D’après la légende biblique, Abraham, choisi comme le grand représentant de la race entière, habitait la contrée de Haran. Les Hébreux auraient donc longtemps vécu sur ces avant-monts du Taurus arménien, entremêlés de plaines bien arrosées où serpentent des affluents de l’Eupbrate. Mais, débordant de ce pays où ils étaient trop nombreux pour l’étendue de leurs pâturages et subissant probablement la poussée des peuples du nord, ils franchirent l’Euphrate, d’où peut-être leur nom d’Ibrim, les Gens de l’autre côté, les Trans-Euphratiques, puis se répandirent vers le sud, dans la direction de Palmyre et de Damas, pourchassant les premiers occupants, là où ils étaient les plus forts, pourchassés à leur tour quand ils avaient affaire à de plus puissants qu’eux, ou bien tâchant de s’accommoder de bonne grâce avec leurs voisins. Souvent, pendant les années de sécheresse, il leur fallut abandonner les régions d’entre Euphrate et Jourdain, se présenter à des peuples solidement établis et leur demander un lambeau de territoire où ils s’installaient pendant la période de disette. Ainsi la Bible nous dit qu’ils s’adressèrent aux Hétéens qui, eux aussi venus du nord, avaient colonisé les environs d’Hebron, en Canaan, et dont ils reçurent un asile temporaire dans le district de Bercheba. Plus tard, ils se tournèrent vers le puissant