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phéniciens et grecs

représentatif des valeurs, ils laissèrent à d’autres — Lydiens ou Grecs — l’honneur d’inventer la monnaie[1]. Mais peut-être leur revient-il une gloire bien autrement grande, due à leurs voyages incessants parmi les peuples de langues diverses dont ils s’ingéniaient à reproduire les sons : peut-être est-ce à eux que l’on doit attribuer la simplification de l’écriture, l’invention de l’alphabet où chaque caractère n’a la valeur que d’une seule articulation phonétique.

En comparant les Phéniciens aux Hellènes dans l’ensemble de la
verre phénicien
trouvé à sidon
civilisation, on constate que les premiers possédèrent certainement le cercle d’horizon le plus vaste, grâce à leur esprit d’aventure, à leurs navigations presque illimitées : on peut dire vraiment qu’après eux, sous la gérance des Grecs, le monde se rapetissa matériellement. Les Hellènes l’étudièrent avec plus d’amour et de pénétration que leurs devanciers, mais ils s’étaient cantonnés dans un espace plus étroit. La civilisation que les Phéniciens avaient inaugurée déjà dépassait les bornes du versant méditerranéen ; deux mille années avant l’accomplissement du progrès dont ils furent les initiateurs, ils avaient indiqué pour l’avenir le déplacement vers les bords atlantiques du centre de la culture et de l’hégémonie du vieux monde. De même, par leur circumnavigation de l’Afrique, ils furent les précurseurs de l’ère mondiale. Aussi comprend-on la haine que voua la Grèce à ces rivaux, qui furent aussi leurs maitres en civilisation. Lorsque la Phénicie, simple littoral sans profondeur, eut été forcément annexée aux grands empires de l’intérieur et que ses ports furent devenus la possession des rois persans, la lutte de ses flottes avec celles de la Grèce qui lui disputaient l’empire de la mer prit un caractère féroce. N’ayant plus l’indépendance, la Phénicie tenait avec d’autant plus d’âpreté à ses projets commerciaux, et réduite à la servitude envers un puissant maître, elle voulut au moins l’utiliser pour l’écrasement de ses concurrents de la mer Egée. C’est avec un zèle vindicatif que les marins de Phénicie s’unirent

  1. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations.