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l’homme et la terre. — phénicie

qui devint plus puissante que sa mère, car elle était beaucoup mieux située pour la commodité des conquêtes, au centre même de la région méditerranéenne et dans une position absolument dominante, au milieu de populations toutes inférieures par la valeur individuelle, les ressources et l’armement. Plus loin encore, vers les mers occidentales, les Tyriens s’établirent sur la plupart des points du littoral méditerranéen qui offraient de grands avantages comme lieux de marché et notamment à Mars-el ou Marseille, « Port de Dieu », qui, depuis cette époque, a parcouru de si amples destinées, grâce à son port naturel merveilleusement abrité et à la vallée du Rhône dont elle occupe la véritable embouchure commerciale. En dehors des colonnes de Melkarth, attribuées plus tard à l’Hercule des Grecs, se succédèrent sur les côtes de petites Phénicies où se ravitaillaient au passage les navires aventurés sur le vaste Océan, au nord vers les îles de l’Etain, ou bien au sud vers l’archipel Fortuné. Ces comptoirs océaniques n’étaient pas moins bien choisis que ceux des rives de la Méditerranée : l’un d’eux fut Gades, la moderne Cadiz, qui s’épanouit en pleine mer comme une fleur à l’extrémité de son mince pédoncule. Que sont toutes ces colonies phéniciennes, sinon les étapes du dieu symbolique, le Melkarth syrien, que la légende nous montre cheminant victorieux dans tous les pays de l’Occident ?

Les Phéniciens avaient acquis des ports sur la mer Rouge, afin de s’élancer vers l’océan des Indes et de visiter les côtes de l’Afrique, de l’Asie, même de l’Insulinde, ainsi qu’en témoignent nombre d’inscriptions phéniciennes trouvées à Rejang, dans l’île de Bornéo, et datant de vingt-deux à vingt-trois siècles. Ils visitaient surtout Ophir, qui peut avoir été ou bien l’arrière-pays de Sofala abondant en mines d’or et en antiques travaux d’excavation, ou bien la ville d’Abhira sur l’une des bouches de l’Indus, où s’entreposaient pour eux les denrées précieuses de la péninsule gangétique[1]. D’ailleurs ce terme d’Ophir, devenu synonyme de tous les pays riches en or et en pierres précieuses, ainsi que le serait aujourd’hui le mot « Californie », a pu s’appliquer à différents pays, comme le nom même de « l’Inde ».

C’est pour aller chercher l’étain, dont les acheteurs furent d’abord les Egyptiens, puis les Hellènes de la Petite et de la Grande Grèce,

  1. G. Oppert, Tharshish und Ophir, Zeitschrift für Ethnologie, 1903; — Weber, Indische Skizzen.