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l’homme et la terre. — rome

la tendresse mystique d’une part, et de l’autre, par l’exacerbation des haines religieuses, se préparait la grande révolution chrétienne.

Entre-temps, la démence du pouvoir avait saisi un nouvel empereur, Domitien, le frère et héritier de Titus. Tout se détraque de nouveau et les barbares pénètrent dans l’Empire, se font même payer tribut. L’immense corps risquait d’être livré aux ambitions et aux fantaisies des généraux qui commandaient aux frontières, si Rome ne s’était ressaisie, après l’égorgement de Domitien, par des choix qui indiquent la ferme volonté de se défendre. Trajan, devenu empereur, ne resta point dans Rome, loin des confins menacés, mais s’offrit personnellement au danger. Il ne confia point les destinées de la Ville Eternelle à des armées lointaines, mais les commanda lui-même : il les fit siennes au delà du Danube, puis au delà de l’Euphrate.

C’est principalement au bord du premier de ces fleuves que l’œuvre de protection était urgente. Dans sa partie supérieure, le bassin était fort bien défendu par un mur de limite qui contournait les forêts de pins presque désertes et difficiles à franchir, entre le Main et la vallée danubienne[1] ; mais au sud de cette limite, à la fois naturelle et consolidée par une chaîne de fortins, les barbares pouvaient traverser librement le fleuve. Un grand nombre de points faibles se succédaient sur le cours du Danube, notamment au sud du quadrilatère de la Bohême dont la pointe s’avance vers le sud en forme de bastion et dans lequel pouvaient se masser secrètement les bandes des assaillants. Vindobona (Vienne) se trouve également sur un chemin transversal au Danube, par lequel pouvaient se présenter des envahisseurs descendus du nord par les plaines delà Moravie, ouvertes en un large couloir.

Plus à l’est, le triple fossé de séparation que présentent le Danube, la Drave, la Save, et le rempart des monts illyriens protégeaient suffisamment l’Empire ; mais le cours inférieur du Danube semblait inviter les incursions guerrières : là était le défaut par lequel le monde politique romain eût pu facilement être blessé à mort. En effet, la grande courbe du bas Danube, de la sortie des Portes de Fer à la diramation des embouchures, pénètre bien avant dans la péninsule thraco-hellénique et, par les plaines étagées qui la bordent au sud, conduit les populations riveraines du fleuve jusqu’aux passages

  1. Robert Gradmann, Petermann’s Mitteilungen, III. 1899.