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l’homme et la terre. — rome

dieu et les aigles romaines, que de dresser à côté de l’autel des statues à Rome et à César. L’histoire de leur résistance suprême les montre vraiment incomparables dans l’énergie de la résistance, tant la folie collective les arrachait aux conditions ordinaires de la vie.

Le drame final fut horrible. Les rangées de crucifiés que les assiégeants dressaient au-devant des remparts, les poussées de faméliques, ivres de chants et de prières, se ruant contre les glaives des Romains, le temple qui déborde de sang, tels sont les tableaux que nous représentent les annales de la guerre. Puis, on nous montre les milliers d’êtres lamentables qui se traînent sur les routes poudreuses et que Titus, les « Délices du Genre humain », fait égorger, aux applaudissements de la foule, dans le vaste amphithéâtre du Colisée, construit par son père. Le siège de Jérusalem aurait coûté la vie, disent les historiens, à onze cent mille êtres humains, et le nombre des prisonniers juifs, hommes valides dont on pouvait faire des esclaves ou des gladiateurs, atteignit neuf cent mille hommes. Titus les avait distribués dans toutes les parties de l’Empire, partout où l’on avait besoin de victimes pour les fêtes, de bras pour les travaux publics.

Une véritable chasse aux Juifs s’organisa, non seulement dans la Palestine, mais encore en Syrie, dans l’Asie Mineure, en Égypte, à Cyrène, jusqu’en Libye. Il n’en restait plus un seul dans la Judée : c’est loin de la patrie que se trouvaient désormais leurs principales communautés[1]. Ce qui restait de la nation eût été bien près de la mort, si des colonies n’avaient existé dans toutes les grandes villes riveraines de la Méditerranée orientale, ainsi qu’à Rome même et en d’autres cités de l’Occident.

La ruine de Jérusalem, l’écrasement définitif des Juifs comme ensemble politique et l’expatriation complète de la nation ne furent pas seulement l’un des faits les plus tragiques dans l’histoire des grands drames de l’humanité ; ils produisirent aussi une révolution de premier ordre dans le développement intellectuel et moral des peuples occidentaux. En se dispersant sur tout le monde romain, non plus uniquement, comme dans les siècles précédents, par leurs marchands, mais surtout par leurs confesseurs, leurs prophètes, leurs extatiques, ils contribuèrent avec puissance à cet immense ébranlement

  1. Grätz, Histoire des Juifs, t. II de la trad. franc., p. 395-396.