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l’homme et la terre. — rome

embrassant déjà dans toute son étendue le domaine méditerranéen, eût atteint son équilibre normal s’il n’était resté en maint endroit de son pourtour des frontières indécises et, au delà de ces frontières, des barbares appartenant à un tout autre cycle de culture. A l’intérieur de la péninsule Italienne, le réseau des grandes routes militaires était complet : la voie Appienne descendant vers le sud et la voie Flaminienne franchissant les Apennins étaient les deux troncs majeurs sur lesquels venaient s’embrancher les voies latérales, l’une d’elles, la voie Emilienne, si importante, si nécessaire que le pays traversé en a gardé le nom — Emilie — jusqu’à nos jours. Partout en Italie, les troupes pouvaient se transporter rapidement aux lieux menacés. Aux frontières, la partie la plus vulnérable de l’empire était précisément cette barrière des Alpes qui semblait monter jusque dans le ciel et fermer tout passage aux ennemis ; mais elle avait été bien souvent franchie, d’abord par les Gaulois, qui avaient occupé toute la moitié septentrionale de la péninsule Italique, puis par les armées d’Hannibal, et les Romains eux-mêmes avaient appris de leurs adversaires à se hasarder dans cette région des neiges. En réalité les voies transalpines avaient existé de tout temps, et l’importance du mouvement qui s’y produisait était déterminée d’avance par la force d’attraction mutuelle des populations habitant les deux versants. Aux origines de l’histoire écrite, il y eut certainement un va-et-vient incessant entre les populations gauloises des vallées du Rhône et du Pô, les routes suivies étant précisément celles qu’indiquaient d’avance les vallées ouvertes latéralement entre les massifs et les brèches des cols qui découpent l’arête suprême. Sans doute les obstacles étaient grands durant les longues pluies, les tourmentes de neige et dans la saison des avalanches, mais en temps d’été et dans le premier automne l’escalade n’avait rien qui pût effrayer les hommes valides. Depuis les âges les plus reculés, les sentiers furent tracés par bêtes et gens, de manière à éviter les cluses et les précipices, et sur de vastes espaces s’étendent les gazons des hautes pentes délicieux à fouler.

Cette prétendue frontière constituée par la crête des monts n’a donc pas le caractère de limite que les conventions politiques ont fini par lui donner, en l’appuyant sur des lignes de douanes, sur des fortifications et des casernes, sur des cordons de gendarmes et de « chasseurs alpins ». Les sommets, dans la nature libre, pour des voyageurs qui