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l’homme et la terre. — rome

Ce signal, Rome le donna un demi-siècle après la défaite d’Hannibal : la ville où se pressaient plusieurs centaines de mille habitants, 700 000 dit-on, vivant par le commerce et l’industrie, fut prise et livrée aux flammes. Jamais elle ne devait renaître comme capitale d’empire, et les vainqueurs prirent soin que leurs alliés africains ne succédassent point à Carthage dans la domination du territoire de Libye.

D’ailleurs, la race berbère était trop éparse dans les vallées et sur le sommet des montagnes de Maurétanie pour qu’elle pût s’unir en un corps de nation compact, à volonté une : Les Numides étaient les ancêtres de ceux qui portent aujourd’hui en Maurétanie le nom de Kabyles et qui sont, après les Touareg, le type le plus original de la race. Le milieu n’ayant guère changé pendant ces deux mille années, il est probable que les mœurs et la vie politique des Numides étaient à peu près les mêmes que celles de leurs descendants : ils se divisaient en autant de petites républiques autonomes qu’il y avait de villages, mais ils s’unissaient individuellement en grands partis, analogues aux Çof qui existent de nos jours. « Il est possible, dit Renan, qu’il faille envisager les Massinissa, les Syphax, les Jugurtha comme des chefs de Çof attachés tour à tour à la fortune des Romains ou des Carthaginois »[1].

Néanmoins cette race incertaine et mouvante, que les peuples civilisés du nord de la Méditerranée méprisaient comme barbare, n’en a pas moins dû atteindre un rang très élevé dans l’antique histoire de la culture, puisque, dès les premiers âges où elle se trouve en contact avec les Carthaginois, elle était déjà en possession d’un mode d’écriture propre qui ne paraît pas avoir servi à d’autres nations[2] et qu’on rencontre seulement sur les côtes maurétaniennes et dans le Sahara : la plus ancienne inscription berbère que l’on ait trouvée est celle de Tugga, en Tunisie, où elle est associée à un texte punique.

Après le dénouement du conflit qui assurait désormais la domination absolue de Rome sur tout le bassin de la mer Intérieure, une période de l’histoire semblait définitivement close : tout le monde connu appartenait à la triomphante république romaine. En dehors du domaine conquis, on entrait aussitôt dans les régions

  1. Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 343.
  2. A. Hanoteau et A. Letourneux, La Kabylie et les Coutumes kabyles.