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avant qu’elle pût prétendre à la domination du monde. Certes, il entra quelque chance dans l’échelonnement de ses acquisitions. Elle échappa à la fureur de conquêtes d’Alexandre qui soumettait les nations à des milliers de kilomètres de son royaume paternel, tandis que Rome luttait encore pour la suprématie sur la crête des monts d’où les soldats pouvaient discerner la fumée montant de leur foyer sur les Sept Collines. Alexandre meurt à 33 ans, son royaume se rompt en fragments, tandis que Rome grandit ; quarante ans plus tard, elle a achevé l’assujettissement du tronc péninsulaire, sans qu’aucun successeur du Macédonien soit venu la troubler dans ses conquêtes, mais trois années seulement séparent la victoire du lac Vadimon, que remportèrent les Romains sur les Gaulois et leurs alliés, par laquelle les peuples cispadans furent définitivement subjugués, et l’entrée en campagne de Pyrrhus, suscitée par l’offensive contre Tarente. Le roi d’Epire, général de l’école d’Alexandre et prétendu descendant d’Achille, venait trop tard ; son échec s’explique par le faible appui que lui apportèrent les tribus au sud de la Péninsule. Soit par fidélité, soit par épuisement complet, soit par méfiance envers l’étranger, les Samnites ne se laissèrent point sérieusement enrôler dans une nouvelle lutte contre leur vainqueur : Pyrrhus échoua dans cette tâche comme, après lui, Hannibal ne put réussir à mettre les cités de la Grande Grèce de son côté.

Cette croissance lente et méthodique, procédant par étapes, a pour corollaire la fortitude extraordinaire dont Rome fit preuve pendant ses revers, après ses plus terribles défaites : sa constance dans le malheur, sa confiance dans les ressources ultimes de l’inébranlable volonté prit sa première origine dans la nature même du sol qui avait fait l’histoire romaine. C’est la terre, dans sa forme et dans son relief, qui avait donné au peuple de la Ville Eternelle son caractère moral. Mais, comme toujours dans la pensée des hommes, l’effet s’est substitué à la cause : on attribua aux vertus natives des Romains ce qui provenait de la nature elle-même.

La force de Rome ne se dépensait pas en entier pour l’accroissement de son empire : elle en employait une grande part en dissensions intestines. Les divers peuples qui s’étaient réunis dans la cité du Tibre ne se distinguaient pas uniquement par l’origine, ils diffé-