Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
444
l’homme et la terre. — rome

gers, et, bien accueillis en alliés par l’un des belligérants, ils gagnaient leur vie comme mercenaires, ou bien même, servis par la fortune, ils se faisaient conquérants pour leur propre compte et fondaient des républiques nouvelles, se rattachant à la mère patrie ou complètement indépendantes. Le groupement des petits États changeait incessamment, modifié par les arrivées successives des montagnards migrateurs[1].

Dans un ouvrage, extraordinaire à la fois par la profondeur de la science, la richesse de l’érudition et la hardiesse des hypothèses, von Ihering étend bien au delà des montagnes voisines de la vallée du Tibre l’aire géographique des tribus d’émigrants qui eurent leur part à la fondation de Rome[2]. D’après lui, les ancêtres des Romains, venus directement des plateaux de l’Arianie vers l’Europe méridionale, auraient accompli leur exode, non pas en un voyage rapide mais en y accommodant leur genre de vie pendant la durée de plusieurs générations, peut-être de plusieurs siècles, et suivant un itinéraire imposé par les circonstances, forcément compliqué de divagations, de retours, d’excursions latérales.

Le souvenir formel de ces migrations ne se trouve point dans les écrits des anciens auteurs, que plusieurs siècles séparent de cette époque primitive, mais la langue conservait, à l’insu même de ceux qui la parlaient, quelques réminiscences des usages d’autrefois. Elles nous disent notamment que pendant les périodes de grandes migrations, alors que le salut de la marche en avant dépendait de la force et de l’agilité des adolescents et des hommes faits, les vieillards, impuissants à porter de lourds fardeaux et à marcher du même pas que leurs compagnons, étaient tenus en médiocre estime par les conducteurs de bandes. On faisait volontiers appel à leur expérience, mais quand on en venait à l’action, on les écartait comme inutiles, allant jusqu’à les mettre à mort. Telle était la coutume des ancêtres de ce peuple qui devait un jour si haut apprécier la sagesse de l’âge que les sénateurs — c’est-à-dire « les vieux » — finirent par occuper le premier rang dans la République ! Le populus, ou assemblée des « jeunes », dirigeait seul en cette période initiale de danger permanent ; puis, quand la cité fut née, le senatus acquit la préséance[3]. Il est vrai que le meurtre de migrateurs devenus encombrants

  1. Niebuhr, Römische Geschichte ; Michelet, Histoire Romaine.
  2. R. von Ihering Les Indo-Européens avant l’Histoire.
  3. R. von Ihering, ouv. cité, page 307.