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immigrations siciliennes

de l’Etna, éclairant à la fois les deux mers de l’Occident et de l’Orient, marquait le lieu sacré où les dieux devaient prononcer entre les compétiteurs à l’empire universel.

Outre les avantages tout exceptionnels que sa position donnait à la Sicile, elle avait la fécondité de ses campagnes pour attirer les colons et les fixer au sol. Les pentes de l’Etna, aux cendres pénétrées de l’humidité des neiges fondues, forment un immense jardin circulaire, et, au-dessous des forêts de châtaigniers, les plaines et les plateaux de l’intérieur se déroulent en un champ de blé continu. Aussi la Sicile, encore plus que Cypre et que la Crète, fut considérée comme le lieu de naissance de Demeter, la « Divine mère », et le plus haut sommet des monts qui dominent Messine, à l’angle nord-oriental de la Sicile, porte encore le nom de la déesse, Dinna mare ou Antinnamare. La légende italique attribuait aux Sicules l’invention de l’agriculture. Ce que les Thraces avaient été pour la Grèce, les Sicules le furent pour l’Italie à laquelle ils donnèrent les céréales et la faucille, dénommée d’après eux sicula ou secula ; peut-être même furent-ils les introducteurs du dieu des semailles et des moissons, du dieu porte-faux : Falcifer Saturnus[1].

A l’époque où les premiers colons grecs, il y a plus de vingt-cinq siècles, avaient débarqué en Sicile, l’île presque tout entière se trouvait en la possession des Sikèles ou Sicules, que les historiens archéologues s’accordent à considérer comme une nation immigrée d’Italie et très probablement très proche parente des Latins, à en juger par les mots qu’ils introduisirent dans la langue hellénique de Sicile[2]. Ces conquérants, établis dans le pays depuis cinq ou six siècles au moins, avaient refoulé les premiers aborigènes, les Sicanes, dans la direction de l’Ouest, de même qu’à leur tour, ils furent repoussés dans le centre de l’île, lorsque les colonies helléniques s’établirent sur le littoral : il ne resta de l’ancienne domination des Sicules que le nom de « Sicile » donné à l’île « triangulaire » ou Trinacrie. Trop faibles malgré leur nombre pour pouvoir accepter la lutte contre des envahisseurs disposant d’armes en bronze et en fer, les Sicules se retirèrent sans leur avoir opposé grande résistance, et plus de deux siècles se passèrent avant qu’une tentative de

  1. André Lefèvre, L’Italie antique, p. 9.
  2. G. Perrot, Revue des Deux Mondes, 1er juin 1897.