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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

dans ses divers organes, n’appartenait qu’à un petit nombre d’individus ; cependant, l’accroissement énorme de la ville et de son domaine de conquêtes obligea le Sénat à s’adjoindre un « Conseil des Cent » (ou cent quatre) qui donna au gouvernement de plus larges assises dans la bourgeoisie commerçante. D’ailleurs, ces gens d’affaire avisés, qui traitaient la politique au point de vue des intérêts d’argent et qui décrétaient des expéditions de guerre en vue de pillages ou d’accroissement de revenus, n’étaient pas hommes à déléguer imprudemment leurs pouvoirs. Ils faisaient accompagner par un des leurs, ou par plusieurs représentants, les généraux qui partaient pour une expédition lointaine et les soumettaient à une surveillance de tous les instants, contrôlant tous leurs actes pour bien montrer aux troupes que les chefs de guerre n’étaient pas les vrais maîtres, et que toute sanction venait de ce mystérieux sénat anonyme qui, là-bas, dans la divine Carthage, disposait de l’argent, des troupes de renfort et des munitions de guerre.

Bien que les généraux fussent presque toujours choisis dans les mêmes familles et que plusieurs d’entre eux atteignissent à la plus haute popularité, il n’est pas d’exemple de grands capitaines carthaginois qui, s’enivrant de leur propre gloire, aient rompu le lien moral qui les attachait à la mère-patrie. En revanche, on cite de nombreux cas d’intervention violente de la République pour déposer les généraux qui avaient déplu, les frapper de bannissement ou les mettre à la torture. On vit même un chef malheureux, Hamilkron, dont la peste et autres désastres imprévus avaient presque détruit l’armée, se présenter avec le reste de ses troupes devant le sénat et le peuple de Carthage et se donner solennellement la mort en sacrifice au Destin.

Si la position géographique de Carthage dans le continent de Libye la garantissait de ce côté contre toute attaque vraiment dangereuse des populations voisines, son empire commercial, épars sur les côtes et dans les mers d’Europe, présentait beaucoup moins de sécurité : de petites îles comme les Baléares, ou de simples comptoirs comme il en existe tout le long des côtes de la Maurétanie occidentale et de l’Espagne étaient maintenus sans peine sous la direction des marchands carthaginois, mais il en était autrement pour les grandes îles telles que la Corse, la Sardaigne, la Sicile, contrées à