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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

diateurs qui devaient plus tard ensanglanter les arènes des Romains[1].

La position géographique de Sybaris présentait des avantages exceptionnels, puisque la ville, située au bord d’une rade partiellement abritée, occupe l’issue d’une vallée qui se ramifie au loin dans les montagnes par des vallons fertiles et qui se poursuit jusque dans le voisinage du rivage tyrrhénien ; en réalité, Sybaris était à l’extrémité orientale d’un seuil de passage à travers la péninsule italienne, et, grâce à cette position, elle avait pu devenir un entrepôt pour le trafic de la côte occidentale, Cumes, Pouzzoles et Naples. Le détroit terrestre de Sybaris jouissait d’avantages analogues à ceux du détroit maritime de Messine et permettait à maint trafiquant d’éviter une longue et pénible navigation littorale autour de la pointe extrême de l’Italie contre laquelle se heurtent violemment les vents et les courants hostiles.

Les alluvions du Crati, aussi bien que la méchanceté des hommes, ont fait disparaître les vestiges de l’ancienne cité commerçante, mais de l’autre côté du golfe, Tarente, qui fut également exposé aux guerres et aux assauts, a pourtant survécu, grâce à des avantages locaux qui la faisaient renaître après chaque désastre. Non seulement Tarente a sur tous les ports de la Grande Grèce le privilège de se trouver le plus avant dans l’intérieur des terres, au fond même du golfe qui porte encore son nom, mais elle possède aussi une rade et un port tout exceptionnels qui la rendaient fameuse dans le monde des marins, de Tyr à Gadès. La rade dite « Mer Grande » est elle-même un port, bassin circulaire de plus de vingt kilomètres en circonférence, que deux pointes de terre et deux îles défendent au large : la « petite mer », qu’une flèche de sable et un îlot calcaire séparent de la « grande », jadis bien accessible par une porte de flot naturelle, était également assez vaste pour recevoir de puissantes flottes. Au nord, à l’est, au sud-est s’étendaient les belles campagnes des Messapiens et des Apuliens et s’ouvraient les vallées des Samnites, d’où provenaient en abondance les denrées d’échange avec les précieuses marchandises de l’Orient, apportées par les Phéniciens et les Grecs : aussi Tarente était-elle devenue le plus riche entrepôt de toute la péninsule italienne, et par son argent, aussi bien que par ses armes, elle avait subjugué de nombreuses tribus guerrières dans les montagnes de l’ouest ; ses tro-

  1. Edmond Deraolins, A quoi tient la Supériorité des Anglo-Saxons, p. 30.