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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

plus que leurs souverains, ils ne se naturalisaient : le « mariage de l’Europe et de l’Asie », qu’Alexandre avait fait célébrer symboliquement à Babylone, n’était pas devenu réalité vivante. C’est ainsi que plus tard les Croisés, malgré leurs batailles victorieuses et leurs conquêtes, ne furent jamais dans leurs royaumes de Terre Sainte que des plantes déracinées. Lorsque Rome, devenue maîtresse de la Grèce, eut défendu l’exportation des soldats, la Syrie, de même que l’Egypte, se trouva sans armée, livrée d’avance aux proconsuls[1]. Elle leur laissait en héritage sa grande cité d’Antioche, qui, elle au moins, avait son originalité propre comme creuset de formation nouvelle pour tous les peuples de l’Orient.

Ptolémée, auquel échut la satrapie de l’Egypte après la mort d’Alexandre, paraît avoir été d’une singulière adresse comme flatteur du clergé, par lequel il voulait s’assurer la confiance du peuple asservi. Son premier souci fut de bâtir des temples absolument conformes au canon de l’architecture religieuse. Lorsque le mystère des hiéroglyphes était encore ignoré des voyageurs européens, ceux-ci, ne voyant absolument aucune forme grecque dans les monuments construits par ordre de Ptôlémée, s’imaginèrent que ces édifices étaient purement égyptiens. Il fallut le déchiffrement des inscriptions pour révéler que les temples d’Edfu, d’Esneh, de Dendera, de Philæ n’avaient pas d’origine antique et que le constructeur en était le conquérant hellène, le roi même dont on voyait la statue agenouillée présentant la Vérité à la déesse Pacht. Sans doute le nouveau roi ne s’était pas donné la peine d’approfondir le sens précis des symboles figurés en son nom, il lui suffisait de les faire reproduire scrupuleusement et en abondance. Or c’est à lui et aux autres Ptolémées que l’Egypte doit le plus grand nombre des temples qui lui restent. Autant les Perses avaient été brutaux et imprudents en détruisant les édifices religieux des Egyptiens, autant les Lagides procédèrent avec adresse et respect à l’égard des vaincus.

Après avoir donné à ses sujets ample satisfaction religieuse, le premier Ptolémée, représentant du milieu historique, s’occupa de se concilier ses compatriotes et compagnons les Grecs et les Macédoniens. Il s’agissait de les transformer en Egyptiens, conformément à son

  1. Michelet, Histoire romaine, tome II, page 59.