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démembrement de l’empire d’alexandre

bataille qu’était devenu l’empire d’Alexandre, des îles telles que Rhodes et Cypre se trouvaient relativement protégées par leurs détroits, mais les provinces situées sur le parcours des voies stratégiques étaient constamment foulées par la marche des ravageurs. Le récit des combats, des sièges, des assauts, des retraites et des retours offensifs qui se succèdent et s’entremêlent en un remous destructeur, de l’une à l’autre extrémité du monde connu, donne le vertige à l’historien : nulle mémoire ne peut suivre dans toutes ses campagnes et prises de cités un Antigone, un Demetrius Poliorcète, un Seleucus Nicator. La dévastation fut effroyable et certains lieux de conflit furent complètement dépeuplés. Trop faibles pour résister à la tourmente, les États ne formant que de petites unités politiques eurent le plus à souffrir, livrés d’avance à tout conquérant de passage. Les peuples qui, relativement, se ressentirent moins du va-et-vient des armées — tels les Babyloniens et les Egyptiens — étaient ceux qui, par leur grand nombre et l’étendue de leur territoire, constituaient, dès leur soumission, des empires donnant à leurs maîtres des ressources en hommes et en argent capables d’assurer une longue résistance aux attaques extérieures.

Lorsqu’un certain tassement se fut établi dans la ruine de l’édifice, improvisé comme par magie et disparu de même, les divisions géographiques naturelles se retrouvèrent dans la répartition des royaumes. L’Asie Mineure, nous l’avons dit, ne fut jamais une ; péninsule naturellement découpée en régions distinctes dont les versants s’inclinent, selon des lignes divergentes, vers la mer Noire, vers l’Archipel, vers la mer de Cypre, vers l’Euphrate, elle se fragmenta en plusieurs principautés aux frontières mouvantes, suivant les vicissitudes des révolutions locales, des guerres de province à province et des invasions étrangères. Au contraire, le bassin des fleuves jumeaux, le Tigre et l’Euphrate, reprenant les avantages de premier ordre que lui donnait sa parfaite individualité, reconstitua l’empire antique d’Assyrie en s’annexant toutes les contrées avoisinantes comme autant de dépendances naturelles : les petits États et les grands royaumes affaiblis du pourtour ne pouvaient que se laisser englober par la puissante monarchie dont la Mésopotamie était le centre ; c’est ainsi que l’empire de Darius et d’Alexandre, dans l’Iranie et jusque dans l’Inde lointaine, tomba au pouvoir de l’heureux général qui avait