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l’homme et la terre. — phénicie

Au sud des contrées qui furent l’empire des Hétéens et qui plus tard virent fleurir Antioche, capitale de l’empire des Séleucides, se succèdent, le long des montagnes bordières, des points vitaux où les mouvements historiques devaient se concentrer avec une intensité particulière. Ces points vitaux sont indiqués d’avance par les brèches qui s’ouvrent de distance en distance à travers les chaînes du littoral et qui servent de passage aux hommes, aux marchandises et à tout le flot de la civilisation entre l’Euphrate et la Méditerranée. De ces diverses portes de montagnes, les plus fréquentées, grâce à leur, facilité d’accès et à la fécondité naturelle des vallées et des terrasses environnantes, ont été de tout temps celles qui rattachent l’oasis de Damas à la côte de Tyr et de Sidon. Damas, connue des Orientaux sous le nom d’Ech-Cham, ou « Syrie », comme si elle concentrait en elle toute la vertu de la contrée, indique une place nécessaire, désignée nettement par la nature. Elle n’est pas, comme Karkemich et tant d’autres cités, une ville sans lieu d’élection précis, et dont les avantages, au point de vue géographique, n’auraient été que faiblement modifiés par un déplacement considérable. Que le lieu de passage sur l’Euphrate eût été reporté à une journée de distance au nord ou au sud, les grands mouvements historiques entre l’Orient et l’Occident n’en eussent été changés en rien : il ne s’agissait que de trouver un point facile pour la traversée du courant fluvial. Au contraire, des les temps préhistoriques sans doute, Damas occupait déjà la plaine où se ramifient ses canaux, où fleurissent ses jardins, où se dressent ses tours. Ce n’est pas sans une sorte de raison que les indigènes disent de leur ville qu’elle est « la plus ancienne du monde » et la seule à laquelle Allah ait permis de garder sa part des jardins du paradis : ils ajoutent que là se trouvait la terre « vierge » d’où naquit le premier homme. Quoi qu’il en soit, la ville est connue depuis trente-huit siècles, car son nom fut déjà gravé à cette époque sur le pylône de Karnak.

Ces avantages locaux de Damas, qui lui assurèrent une importance de premier ordre, proviennent de la brèche qui s’ouvre immédiatement à l’ouest entre la chaîne du Hermon et celle de l’Anti-Liban : de cette ouverture s’élance la rivière Barada, l’ancienne Chrysorrhoas ou « Coulée d’Or », qui, divisée en de nombreux canaux, verse en effet des richesses dans la campagne, assiégée au loin par le désert. C’est donc vers cette incomparable oasis que convergèrent toutes les routes