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l’homme et la terre. — grèce

d’acclamation vers le ciel que « les oiseaux en tombèrent », dit la légende ; mais le demi-siècle ne s’était pas écoulé qu’au même endroit le consul Mummius venait sans phrases porter la ruine et la mort. La Grèce n’était plus qu’une province romaine, il lui restait un nom, chèrement gagné par ses dernières luttes, « Achaïe », et l’immortelle influence qu’elle avait acquise dans les sciences, les arts et tout le mouvement de la pensée. Thucydide, qui assista aux terribles événements de la guerre du Péloponèse et put reconnaître en partie les causes de la future décadence hellénique, avait tenu le langage fier qui convenait à un Athénien : « S’il faut que nous dégénérions un jour, car tout est destiné à décroître, il en restera du moins un éternel souvenir ». Il eût pu ajouter « un éternel exemple ».

L’œuvre de la Grèce dans l’histoire du monde a été surtout de concentrer en soi et d’élaborer tous les éléments de progrès convergeant de l’Egypte et du monde oriental, du Paripamisos au Caucase. En cet espace insulaire et péninsulaire étroit, se sont successivement déversés, comme en un creuset pour s’y refondre à nouveau, les mythes et les idées, les industries, les sciences et les arts nés, pendant le cours des âges, dans un pourtour immense de terres habitées par des populations de races différentes et du génie le plus divers, Hamites et Sémites, Aryens et Touraniens. Les petites tribus ancestrales des Hellènes étaient encore dans leur barbarie primitive lorsque l’Egypte, la Chaldée sculptaient déjà des statues, gravaient des écritures sacrées et dressaient des temples ; mais, en se propageant vers l’Ouest, ces deux grandes civilisations locales devaient sa rencontrer sur les côtes de la Phénicie, et les flottes du peuple commerçant, portant ce que l’homme a jamais trouvé de plus précieux, le trésor par excellence, le livre, avaient nécessairement pour première étape, dans le voyage sur la longue Méditerranée, les îles et les presqu’îles du monde grec. Là, ces navigateurs de l’Orient trouvaient des colons venus d’autres pays, des rivages de l’Asie Mineure et des bords de la mer Noire : de proche en proche, par les récits et les légendes qui se portaient de peuplade en peuplade sur les routes du lent trafic, La Grèce reçut et mit en œuvre tout l’avoir intellectuel acquis déjà par les peuples assis en amphithéâtre dans le monde environnant, des Ethiopiens du Haut Nil aux Scythes du Borysthène.