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l’homme et la terre. — grèce

au-devant du Nil et du désert jusqu’aux côtes de Syrie. Et ce port, que les ingénieurs de la suite d’Alexandre, mais surtout ceux des Ptolémées, les successeurs du Macédonien, purent aménager sans peine par des môles et des quais, se trouvait à proximité de la branche canopique du Nil : pratiquement, la cité nouvelle possédait les avantages réunis d’un lieu de commerce à la fois maritime et fluvial. Elle paraît avoir été fondée d’après les conseils des Grecs de Naukratis, qui tenaient à posséder le grand port maritime dans le voisinage du bras du Nil sur lequel s’était bâtie leur ville. D’ailleurs, Alexandrie surgissant plus à l’Est, près de l’excellente rade d’Aboukir, eût présenté exactement les mêmes avantages pour le commerce et la navigation[1].

Après la mort d’Alexandre, les fragments détachés de l’immense domaine conquis eurent, de même que les villes fondées par lui, les destinées les plus diverses, et la Grèce proprement dite fut entraînée dans le tourbillon des révolutions et des guerres qui remuait les royaumes de formation nouvelle, essayant de se refaire suivant les anciennes affinités de traditions, de cultes, de races et de langues. La situation devint d’autant plus grave que l’éblouissement causé par la conquête du monde connu et l’apparition soudaine de l’Inde affola tous les ambitieux, exalta tous les aventuriers, suscita dans chaque cité des imitateurs d’Alexandre.

Un autre grand danger provenait du déluge d’argent qui s’était déversé sur la Grèce et qui avait eu pour conséquence fatale l’inégalité des fortunes : accaparement de grandes richesses en quelques mains et appauvrissement correspondant des foules. Les maux qui avaient suivi l’enrichissement d’Athènes à l’époque de Périclès s’aggravèrent singulièrement. Démosthènes avait pu dire que « des enrichis achetaient toutes les terres, tandis qu’à côté d’eux le plus grand nombre des citoyens n’avait plus même la vie du lendemain assurée »[2] ; mais un plus grand désastre pour la Grèce fut la prise de possession par Alexandre des prodigieux trésors amassés par les rois de Perse : une masse de lingots correspondant à près de deux milliards fut monnayée par les Grecs ; elle s’accumula dans les mains des riches et corrompit la nation[3]. Ce fut une révolution économique comparable à celle

  1. J.-P. Mahaffy, The Empire of the Ptolemies, p. 11.
  2. Troisième Olynthienne, § 24 et suiv.
  3. Louis Theureau, Revue scientifique, 1897, II, p. 520.