Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
322
l’homme et la terre. — grèce

l’eau vive, ni la permission d’allumer son feu au foyer du voisin ». Ne pas montrer la route à celui qui s’égare était un crime que les Athéniens flétrissaient par l’exécration publique[1]. Certes, c’est en grande partie au bon accueil fait aux exilés étrangers qu’Athènes doit son étonnante pléiade d’hommes grands par la pensée et par l’action. Dans l’énumération des Athéniens illustres, on constate l’existence de très nombreux descendants d’exilés, entr’autres Solon, le législateur même, Périclès, Miltiade, Thucydide, Platon[2]. C’est ainsi, dans une proportion bien autrement puissante, que, plus de vingt siècles après, les réfugiés protestants de France et d’Italie donnèrent une âme à la petite et insignifiante ville de Genève, pour en faire une citadelle contre Rome, et que plus tard, les philosophes persécutés trouvèrent un asile dans la minuscule république des Provinces-Unies et contribuèrent à l’animer de cette virilité qui lui permit de contrebalancer la puissance du « Grand Roi ». Et l’essor de Berlin ne date-t-il pas en grande partie de l’activité intelligente qu’y déployèrent les immigrés huguenots ?

Grâce à ces pratiques de bon accueil envers les étrangers, Athènes se trouva facilement en relations suivies d’amitié avec nombre de cités helléniques, différentes par la race, le dialecte et les traditions ; ces alliances s’accrurent naturellement des liens qui l’unissaient à toutes ses « filles », les colonies éparses sur les rivages de la mer Egée et sur les côtes plus lointaines ; c’étaient autant d’Athènes nouvelles confédérées à la mère-patrie par l’origine, le langage, les oracles et les dieux. Quant aux Spartiates, ils ne cherchaient guère d’alliés, mais surtout des sujets ou des mercenaires, et même, quand ils étaient accompagnés dans leurs invasions par d’autres Doriens appartenant à la même souche originaire, ils ne les guidaient point aux batailles comme frères, mais comme chefs.

Etudiées dans leur ensemble, les deux cités contrastaient donc, moins par les conditions géographiques du milieu que par l’ambiance artificielle créée à l’une des deux communautés. Sparte était une ville de guerre et ne pouvait devenir autre chose ; Athènes s’était développée surtout en une ville de paix, d’industrie, de commerce, de science et d’art. Même les institutions qui, dans les deux Etats,

  1. F. Laurent, Histoire de l’Humanité.
  2. Daily, De la Sélection ethnique, Revue d’Anthropologie.