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l’homme et la terre. — grèce

de la Grèce asiatique et les havres de la Grande-Grèce, pendant que sa rivale laconienne, se détournant de la perspective naturelle qui lui montrait au sud la mer déserte, à l’ouest de Cythère et de la Crète, regardait surtout au nord pour accroître son domaine de conquêtes par delà les remparts successifs de la grande citadelle du Péloponèse.

Le contraste géographique entre les deux cités était donc considérable ; mais le contraste historique, provenant de tous les milieux successifs survenus pendant les âges, était bien plus grand encore. Les Spartiates, entourés d’ennemis déclarés ou d’esclaves cachant sous les dehors de la flatterie rampante une haine immortelle, ne vivaient que pour la guerre, avec la continuelle appréhension de la révolte, avec l’appétit constant des massacres et des butins. Les Athéniens, descendants des antiques Pélasges aborigènes, auxquels s’étaient associés de nombreux immigrants refoulés chez eux par les invasions doriennes, les Athéniens furent dans l’histoire ceux qui représentent le mieux ce type héroïque de la cité dont l’individualité changeante se distingue si bien dans l’unité supérieure de la Grèce.

En se remémorant Athènes, on voit en même temps apparaître cent autres villes grecques aux maisonnettes blanches s’étageant sur les pentes d’une colline rocheuse, sous la verdure pâle des oliviers. La patrie, tout le groupe de familles alliées, contenu en cet étroit espace, formait un tout complet, un véritable organisme. Du haut de son acropole, le citoyen suivait du regard les limites du domaine collectif, ici le long de la mer indiquée par le liséré blanc des vagues, plus loin à travers la forêt bleuâtre qui recouvre le penchant des collines, puis, au delà des ravins et des gorges, sur la crête des rochers. Le « fils du sol » pouvait donner un nom à tous les ruisselets, à tous les bouquets d’arbres, à toutes les demeures qu’il apercevait dans l’étendue. Il connaissait les familles qu’abritaient ces toits de chaume, il savait où les héros de la nation avaient accompli leurs exploits, où les dieux avaient lancé leur foudre. De leur côté, les gens de campagne regardaient vers la cité comme vers leur chose par excellence. Ils en connaissaient bien les sentiers, qui s’étaient graduellement transformés en rues : telle place, telle voie magistrale portait encore le nom des arbres qui s’y élevaient autrefois ; ils se rappelaient leurs jeux autour des fontaines, où se miraient maintenant les statues des nymphes ; là-haut, sur le roc protecteur, se dressait le temple portant