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hilotes et spartiates

anciens habitants de la plaine rapprochée de la mer : ceux-ci, qui avaient longtemps résisté, furent punis du plus dur esclavage ; ayant à peine gardé le nom d’hommes, ils restèrent complètement ignorés des autres Grecs, quoique par le nombre ils fussent les premiers dans le territoire lacédémonien.

Ainsi les Spartiates avaient dû se créer un milieu artificiel, parfaitement à part, en dehors du milieu naturel, qui avait été celui des Laconiens et des Hilotes. Etablis dans le pays la lance à la main, après un exode guerrier qui, des régions du Pinde jusqu’au centre du Péloponèse, avait usé des générations entières, ils n’avaient plus d’autre métier que la guerre. Leur cerveau s’était fait à la lutte incessante et ne pouvait plus s’accommoder à la préparation des travaux pacifiques. Ils eurent à subjuguer d’abord les populations résidantes, puis celles des monts environnants. Leurs voisins de l’ouest, les vaillants Messéniens, qui possédaient de très fécondes vallées, plus riches encore et plus étendues que celles de la Laconie, soutinrent longtemps la fureur guerrière des Spartiates. Ceux-ci, devenus les maîtres incontestés du Péloponèse, eurent tout le monde grec pour champ de conquête et de pillage. Ils devaient avoir, en outre, le souci constant de se garder, et ils le firent avec une logique, une méthode dont on ne trouve peut-être d’autres exemples que chez les Peaux-Rouges du Nouveau Monde, tenus également à une vigilance continue par un danger de tous les instants. Leur ville était un camp, d’autant mieux surveillé qu’ils avaient eu la fierté de ne pas l’entourer de murailles et qu’ils formaient un rempart vivant autour de leur Apollon dorien, brandissant la lance comme lui : leur divinité, leur idéal ne pouvait être que la force. Groupés en une petite armée au milieu de populations éparses qu’ils terrorisaient par de fréquents massacres, ils compensaient par la solidité de leur position stratégique et par la pratique incessante de la violence guerrière la faiblesse relative de leur nombre — environ un contre dix.

On connaît la dure sévérité des lois, attribuées au personnage légendaire de Lycurgue, mais issues en réalité de l’inéluctable nécessité dans laquelle le péril continu avait placé les Spartiates. Ces lois n’étaient pas inspirées par le génie dorien, comme le dit Otfried Müller, car les tribus de même race vivant en des conditions différentes ne connaissaient point cette organisation sociale et politique : elle était