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l’homme et la terre. — grèce

mouvement d’expansion des Grecs : les jeunes gens se décidaient assez facilement à l’expatriation, tant la mer paraissait propice aux voyages, tant l’espoir d’un destin favorable entrait aisément dans l’âme hardie de l’Hellène. L’oracle consulté répondait naturellement suivant les vœux de ceux qui s’adressaient à lui, et bientôt les barques fuyaient vers des contrées que l’on ne connaissait guère que par des récits fabuleux, mais où l’on retrouvait des sites analogues à ceux de la patrie. Les îlots de Massilia ne ressemblaient-ils pas à ceux de Phocée, et la fontaine d’Aréthuse qui jaillit dans l’île syracusaine d’Ortygie n’est-elle pas la résurgence du fleuve Alphée ? Partout on pouvait reconstituer une image du lieu natal, avec son acropole, ses temples et ses autels bocagers.

Les colonies filiales, toutes fondées par des citoyens jeunes et fiers, emplis du sentiment de leur force et de leur supériorité sur les « barbares », constituaient des communautés entièrement libres, presque toujours sans lien de vasselage envers la mère patrie ; mais cette liberté même les associait d’autant plus fortement au pays des aïeux, par la sympathie et par la culture des traditions communes. Toute proportion gardée, la situation était analogue à celle qui rattache un Canada, une Australie et une Nouvelle Zélande à une Grande Bretagne. Quoique dispersés dans toute l’étendue du bassin de la Méditerranée, sous des climats divers et en des milieux dont les populations différaient beaucoup par les mœurs et le langage, les colons grecs gardaient jalousement leurs privilèges de race et de civilisation : ils faisaient toujours partie du monde hellénique, et par le commerce entretenaient de fréquentes relations. Dans la grande époque de la floraison grecque, ils s’associaient avec ferveur au mouvement des idées qui se produisait dans l’Hellade européenne, dans les îles, dans l’Asie Mineure. C’est en grande partie à la passion des Grecs du dehors que les jeux gymniques, célébrés par la mère patrie à Delphes, à Olympie, dans l’Isthme et dans Athènes, durent leur extrême importance comme fêtes d’union morale entre tous les Hellènes. Des vases conquis aux Panathénées se retrouvent dans toutes les parties du monde grec, aussi bien en Sicile, en Cyrénaïque et en Italie que dans la Grèce proprement dite, ce qui prouve que les champions étaient accourus de toutes les colonies helléniques[1].

  1. G. Perrot et Ch. Chipiez, Histoire de l’Art dans l’Antiquité, t. VII, pp. 293 et suiv.