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l’homme et la terre. — grèce

hommes les plus vaillants et dépensaient toutes leurs ressources à la conquête d’un empire, les Doriens, barbares du Nord, profitaient de l’affaiblissement de leurs voisins et parents pour envahir les contrées du Sud, appauvries, privées de leurs défenseurs : une nouvelle migration de Grecs eut lieu. La disposition triangulaire de la péninsule des Balkans devait avoir pour conséquence de comprimer les peuples dans la direction du Sud ; chaque grand mouvement se propageant des plaines du Nord aidait aux migrations qui se faisaient des vallées de l’Hæmus et du Pinde vers la Thessalie et l’Epire, et de ces contrées elles-mêmes vers les bords du golfe de Corinthe et le Péloponèse. C’est ainsi que les Pélasges s’étaient répandus dans les contrées du Sud, ainsi que les Argiens du Nord, groupés au pied de l’Olympe, avaient émigré vers la péninsule du Midi qui devint l’Argolide.

Homère mentionne à peine les Doriens ; ceux-ci, pauvres clans de montagnards, ne comptaient guère à son époque parmi les peuples de la Grèce proprement dite. Pourtant les dissensions des Hellènes policés et l’affaiblissement des États méridionaux leur fournirent l’occasion de prendre un ascendant qui dura pendant des siècles. Guidés par des princes achéens qui se prétendaient « fils d’Hercule » et qui voulaient retourner en conquérants dans leur patrie, les Doriens quittèrent leurs âpres régions pour aller gaiement au pillage de contrées plus ensoleillées. De rudes agriculteurs et de pâtres qu’ils étaient, ils se firent, nous l’avons dit, hommes de carnage et de butin, ce à quoi leur milieu sauvage les prédisposait déjà. Ils apprirent à vivre, « non du soc de la charrue mais du fer de la lance » : terres, esclaves, richesses, ils demandèrent tout à cette pointe acérée qu’ils tenaient devant eux. Il semble d’ailleurs que ce mode de combattre leur facilita la victoire : contre les Achéens qui se précipitaient en désordre, à la façon des héros d’Homère, en commençant par se braver et s’injurier mutuellement, les Doriens s’avançaient en silence, pressés les uns contre les autres, comme un rempart mouvant[1] : c’était presque la phalange macédonienne, plusieurs siècles avant Philippe.

Les invasions doriennes se succédèrent probablement pendant de nombreuses générations d’hommes, et tous les indices s’accordent pour faire de cet exode la simple continuation de mouvements antérieurs

  1. L. von Ranke, Weltgeschichte, t. I, 1, p. 169.