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l’homme et la terre. — grèce

encore d’énormes amas de coquillages utilisés près de Gythion, au fond du golfe Laconique. Ainsi que l’a établi de Saulcy, les deux espèces de mollusques d’où l’on retirait la matière tinctoriale n’étaient pas les mêmes à Tyr et en Grèce : le murex phénicien était le tranculus, et celui de Cythère le brandaris[1].

Les Phéniciens colonisèrent aussi des îles et des péninsules du nord de la mer Egée : ils s’établirent à Thasos, l’île riche en mines, de même que sur les pentes du mont Pangée qui se dresse sur le continent au nord-ouest de cette île. Peut-être, au bord d’une autre mer, en Elide, exercèrent-ils également une part d’influence. On peut leur attribuer aussi, avec Schliemann, le peuplement d’Ithaque, dont le nom, à peine différent de celui d’Utique, la ville africaine, a le sens de « colonie ». Ainsi le type du voyageur artificieux, le prudent Ulysse, très grec à certains égards, serait-il néanmoins pour une part le représentant du marin de Phénicie ; ce fait que, même de nos jours, tant de Thiakiotes (Ithakiotes) s’adonnent à la navigation et au transport des blés dans la mer Noire s’expliquerait largement par atavisme.

On n’est encore qu’au début d’investigations qui dégagent des traces de civilisations préhelléniques : la sagacité des chercheurs a pourtant fourni déjà maintes belles découvertes. Victor Bérard a montré que des navigateurs s’étaient installés en plus d’un promontoire rocheux rattaché à la côte par une langue de terre ; une demi-douzaine de sites semblables, dispersés de Rhodes à l’Attique, furent nommés par eux Astypalée, en l’honneur de quelque divinité, et devinrent pour les Grecs des Astypalaia ou Ville-Vieille[2]. Si les Phéniciens ne s’étaient guère établis à demeure loin du rivage, s’ils ne pénétraient dans les vallées distantes d’Arcadie qu’en brocanteurs ou en pirates, ils gardaient néanmoins les isthmes et y établissaient des forteresses : Tyrinthe, Mycènes, Korinthos, « dont aucune étymologie grecque ne parvient à expliquer le nom », jalonnent une route dont la possession permet d’éviter les dangereux abords des caps du Péloponèse. Thèbes commande, à égale distance des deux mers, un chemin de traverse entre les golfes de Chalcis et de Corinthe. Ilion, éloignée du rivage, mais à cheval sur une route qui contourne l’entrée de l’Hellespont aux vents hostiles, occupe une position de même ordre[3]. Aux

  1. Movers ; Fr. Lenormant ; de Saulcy, passim.
  2. Victor Bérard, Les Phéniciens et l’Odyssée.
  3. V. Bérard, ouvrage cité.