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l’homme et la terre. — grèce

plus reculés de l’histoire, ils avaient vu dans les eaux marines plutôt un chemin naturel qu’un obstacle. Les mots pontos, pontus ont le sens primitif de « Grande Route » et proviennent du même radical que le vocable latin pons, indiquant un passage artificiel pratiqué au-dessus des eaux. Sans doute, les matelots ont toujours à redouter que leur esquif ou leur nef se perde sur le chemin des mers ; les aventuriers grecs eurent à le craindre surtout dans le bassin maritime qui a gardé le nom de « Pont » par excellence, la mer Noire ; mais la navigation se faisant presqu’uniquement à proximité des cotes, en vue des havres ou plages de refuge qui se succèdent entre les promontoires, ils pouvaient, en s’exposant aux vents redoutés du large, garder toujours devant leurs yeux l’idée de la route à suivre : ils s’arrêtaient de temps en temps, mais rien ne les détournait de leur but. Les conditions étaient différentes pour les peuples occidentaux qui se trouvaient devant de grandes étendues maritimes ou océaniques souvent bouleversées par les tempêtes : en face de ces eaux sauvages, s’acharnant contre les falaises, ils éprouvaient surtout un sentiment de terreur, et cette impression même leur dicta ces noms de mar, mare, mer, meer, muir, qui impliquent l’idée de violence et de destruction[1].

Entre les deux Grèces, l’européenne et l’asiatique, la mer se présente plus hospitalière aux marins que dans toute autre partie de la Méditerranée : on ne retrouve, au voisinage des continents, des eaux aussi bienveillantes pour l’homme que dans les archipels de la Sonde. Si l’on étudie sur la carte de la mer Egée la distribution des îles qui jalonnent les distances entre les deux rives continentales, on constate l’existence de plusieurs « ponts », véritables alignements de piles insulaires, toutes assez rapprochées les unes des autres pour que les embarcations restent toujours en vue de la terre ferme.

Que l’on parte de l’entrée du golfe Pagasétique, aujourd’hui de Volo, entre la Thessalie et l’Eubée, pour se diriger vers les Dardanelles : dès qu’on a doublé le dernier cap de la péninsule Magnésienne, on se trouve à l’abri d’une longue avenue d’îles, d’îlots, de rochers s’élevant de l’eau profonde, puis au sortir de cette allée triomphale, on n’a qu’à franchir une soixantaine de kilomètres pour se trouver dans les eaux asiatiques, soit dans un port de la Chalcidique,

  1. Zénaïde A. Ragozin, Vedic India, p. 72.