Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
l’homme et la terre. — égypte

Les alluvions du Nil, les hypogées des collines riveraines et les éboulis des rochers livrent aux chercheurs des objets de plus en plus nombreux permettant de constater que les constructeurs des édifices joignaient à leur science réelle l’aide d’ouvriers très habiles, géomètres, maçons, sculpteurs, fondeurs, émailleurs, peintres, ciseleurs, décorateurs, et l’on sait combien haute était leur ambition. En parlant des temples élevés par lui, Ramsès mentionne surtout les « pierres éternelles » qu’il dressa pour la gloire des dieux et pour la sienne propre.

Ainsi que le dit Charles Blanc[1], un peuple aussi préoccupé de la vie future que l’était celui d’Egypte, et qui momifiait ses cadavres en vue de l’éternité, devait surtout se préoccuper, dans son architecture, de donner à ses monuments de très larges assises pour en assurer la solidité et la durée sans fin : tout dans ces constructions était robuste, épais et court. Cependant, un très grand nombre de bâtiments énormes ont disparu, à commencer par le Labyrinthe, la ville funéraire fondée par Amenemhat III et qui d’après Hérodote contenait plus de 3000 chambres. On peut se demander aussi, avec W. Willcocks, si cette vaste construction, dont on ne reconnaît plus que l’emplacement, indiqué par un village de briques, près de la pyramide de Hawara à l’entrée du Fayum, ne remplissait pas le rôle de régulateur des eaux à l’entrée et à la sortie du lac Moeris. De nos jours, des maisonnettes sont parsemées sur les décombres de la pierre et du béton, occupant une prodigieuse étendue du sous-sol. On constate que tous les temples de Karnak et de Luksor, auxquels on ajouterait plusieurs autres temples thébains de la rive gauche, tiendraient dans l’espace que recouvrait autrefois le Labyrinthe. Pline nous raconte que, pendant des siècles, cet édifice étonnant servit de carrière pour tout le district environnant : un peuple d’excavateurs s’était fondé une véritable ville à côté des fouilles[2].

La démolition par la main de l’homme, travail directement régressif, bien que souvent indispensable, telle est la cause principale de la disparition de tant de « pierres éternelles » dont parlent les Anciens. Ainsi, les temples d’Eléphantine furent démolis en 1822 comme matériaux à bâtir, l’arc de triomphe d’Antinoë fournit la pierre

  1. Grammaire des Arts du Dessin.
  2. Flinders Petrie, Ten Years Digging in Egypt. pp. 91, 92.