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l’homme et la terre. — égypte

Memphis, et qui représente par excellence la force de création, participe comme les dieux à la pureté absolue de la naissance ; on croyait pour lui, ou du moins, on feignait de croire au dogme de l’immaculée conception : une génisse vierge, fécondée par un rayon de soleil et sans tache elle-même, ayant enfanté cet animal sans tache. Mais la plupart des bêtes ne jouissaient que d’une adoration locale : c’étaient plutôt de saints patrons que des dieux proprement dits ; de même que les tribus indiennes, les villes de l’Egypte avaient leur symbole totémique, et souvent il régnait une grande rivalité, même une guerre déclarée, entre ces animaux protecteurs des cités.

Le polythéisme égyptien, si vaste par le nombre de ses dieux qu’il embrassait des milliers de bêtes, n’empêchait nullement que, par ses côtés élevés, la religion des Egyptiens touchât à l’idée d’un dieu unique, tout-puissant. La tendance naturelle qui portait chaque adorateur d’un dieu à le doter de toutes les forces créatrices, à lui reconnaître toutes les qualités, toutes les énergies que se représente l’idéal humain devait nécessairement créer en maints esprits un véritable monothéisme, non moins absolu dans ses expressions, non moins ferme dans ses ardeurs que le fut plus tard celui des Juifs talmudistes et des Arabes musulmans. Le culte d’un seul dieu, de même que tous les autres d’ailleurs, retrouve pleinement ses origines dans le monde égyptien et, certes, il serait difficile de trouver dans la littérature sémitique ou chrétienne un passage plus décisif à cet égard que ceux dont Brugsch[1] a donné la traduction :

« Dieu est le Un et le Seul, et nul autre n’est que Lui ; Dieu est celui qui a tout fait ; Dieu est un esprit, un esprit caché, l’esprit des esprits, le grand esprit des Egyptiens, le divin esprit ; Dieu existe dès le commencement ; Il existait quand rien n’existait encore ; Il est le père des origines ; Dieu est l’Eternel ; Il est toujours vivant et sans fin, perpétuel et de durée constante ; Dieu est caché et nul ne connaît sa forme… Dieu est la Vérité : Il vit par la vérité ; Il se nourrit de vérité ; Il s’appuie sur la vérité ; Il crée la vérité ; Dieu engendre et n’est point engendré ; Il donne la naissance mais ne l’a point reçue ; Il se produit lui-même, se donne naissance à soi-même : Il est le créateur de sa forme et le sculpteur de son corps. »

  1. Religion und Mythologie der alten Aegypter.