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l’homme et la terre. — égypte

que la flore originaire en fut complètement changée. Les plantes qui croissaient dans l’étroite bande alluviale avant que l’homme en prît possession ont presque entièrement disparu, ainsi que le reconnaissent les botanistes à l’aspect et aux mœurs des végétaux de l’Égypte, mais la flore primitive du plateau désertique a gardé sa physionomie immuable. Les seules espèces de la vallée qui aient résisté à la destruction sont les végétaux aquatiques, parmi lesquels le papyrus et le lotus, le premier symbolisant la basse Égypte sur les monuments anciens, le deuxième pris comme plante caractéristique de l’Égypte supérieure. A vrai dire, il n’est pas certain que le papyrus et le lotus soient réellement originaires de la vallée du Nil : nombre d’écrivains pensent que le papyrus fut toujours cultivé à cause de sa valeur industrielle provenant de la moelle nourrissante, des tiges souples et flexibles qu’emploient les vanniers, et surtout de l’épiderme qui fut le « papier » des anciens ; et c’est, dit-on, précisément parce que le papyrus n’était pas une plante nilotique indigène qu’il a maintenant à peu près complètement disparu des eaux égyptiennes, jadis cultivées à la façon des rizières ; pourtant, aucun fait botanique ne vient à l’appui de cette supposition, et de toutes les hypothèses, la plus simple est celle de l’indigénat[1]. Quoi qu’il en soit, la substitution complète d’une flore à une autre flore, de même que celle d’une faune à une autre faune, témoigne surabondamment de la longue durée des cultures dans la terre d’Égypte ; cette période de l’histoire représente certainement une centaine et peut-être des centaines de siècles.

On a prétendu que l’universalité de l’inondation dans la vallée du Nil et l’unité matérielle de ce phénomène devaient avoir pour contrecoup, dans le monde religieux, l’idée d’un maître tout-puissant et dans le monde politique, celle d’un souverain absolu « dirigeant les eaux dans les campagnes et reconstituant les limites effacées des propriétés particulières »[2]. La prévoyance d’un dieu qui guide le soleil dans les chemins de l’espace, qui remplit jusqu’aux bords le lit du fleuve et en modère les eaux aurait été spontanément admise comme un article de foi par les riverains du Nil et aurait eu en conséquence pour contre-partie dans le monde politique la foi dans la sollicitude constante d’un souverain. Mais il se trouve que les faits sont

  1. Ch. Flahaut, Notes manuscrites.
  2. Leopold von Ranke, Weltgeschichte, t. I, p. 5.