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civilisation hymiarite

pour héritier comme centre d’ébranlement dans l’histoire du monde ; mais les colonies sabéennes essaimèrent en grand nombre vers diverses parties de la côte orientale de la mer Rouge, et jusqu’en Syrie, dans les montagnes du Hauran. Les villes, villages, simples châteaux abandonnés qu’on voit au sud de Damas, sur presque toutes les hauteurs, dans presque tous les vallons, et qui ont valu au pays le nom de « Désert des Villes », datent de l’époque de la migration sabéenne. Ainsi qu’en témoignent quelques rares inscriptions, ce sont des Hymiarites qui fondèrent toutes ces belles cités d’un grand aspect, et ce sont eux qui, sous le protectorat romain, établirent en ces endroits, jusqu’à l’époque musulmane, un centre de civilisation rayonnant au loin. Le voyageur Oppenheim démontre que les édifices du Hauran, de construction gréco-romaine en apparence, offrent cependant plusieurs traits d’origine sabéenne, surtout dans l’ornementation. L’architecture, dite arabe, qui doit être attribuée à la Perse en très grande partie, provient également pour différents détails de l’art sabéen du Hauran. Damas, la grande cité voisine, est le centre de culture où se mélangèrent tous ces éléments[1].

Néanmoins les Hymiarites du Yemen restèrent encore en assez grand nombre dans le pays et y maintinrent leur civilisation, attestée par les centaines d’inscriptions que les Halévy, les Glaser et d’autres savants voyageurs ont recueillies. On a des raisons de croire que l’architecture actuelle de la cité capitale, Sana, des autres villes du Yemen et de celles du littoral arabique jusqu’à Djéddah ressemble fort à celle que pratiquaient les anciens Hymiarites. En effet, les maisons de la contrée ne conviennent point aux Arabes de nos jours, que les ordres de Mahomet forcent à cacher leurs femmes aux regards indiscrets ; et l’abondance des fenêtres, même des balcons, ne peut s’expliquer que par l’existence antérieure de mœurs très différentes de celles qui prévalent actuellement[2].

La grande cité du Yemen est remarquable par ses hautes maisons carrées, ornées avec une grande variété et un goût très original. Le rez-de-chaussée, construit en moellons de basalte, n’a qu’une seule ouverture, porte à cintre surbaissé, inscrit dans une arcade ogivale,

  1. Max Oppenheim, Vom Mittelmeer zum Persischen Golf durch den Hauran, die Wüste und Mesopotamien.
  2. D. Chamay et A. Deflers, Excursions au Yémen, Tour du Monde, pp. 281 et suiv.