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l’homme et la terre. — palestine

à pervertir et lutter de pouvoir contre l’autre Dieu ; celui du Bien. C’est un Ahriman disputant à un Ormuzd la possession des âmes humaines. On peut se demander également si les deux montagnes d’Ebal et de Garizim qui dominent Sichem, l’antique capitale d’Israël, la Nablus de nos jours, ne symbolisent pas les deux puissances hostiles du bien et du mal. À des temps fixés, les prêtres et devins de la ville se divisaient en deux bandes, pour gravir, les uns, la montagne du nord, l’Ebal, les autres, la montagne du sud, le Garizim, et d’en bas l’on entendait les voix des magiciens qui se croisaient dans l’air, d’un côté pour maudire la ville, de l’autre pour appeler les bénédictions d’en haut et les faire pleuvoir en une douce rosée sur les habitants. Sans doute les invocateurs de la bonté divine doivent feindre de l’avoir emporté sur les maudisseurs ; mais peut-être qu’une certaine crainte continue d’opprimer les esprits, et dans le vent qui passe sur les oliviers, on ne cesse d’entendre le conflit éternel de l’espérance et de l’effroi.

Mais par delà les plateaux de l’Arianie, un autre Orient, tellement éloigné qu’on n’en savait pas même le nom, le bassin des « sept rivières » et celui de la Ganga, était aussi devenu un foyer de propagande religieuse, dont l’action dut s’exercer de proche en proche jusque sur les bords de la Méditerranée. On peut admettre comme très probable qu’il n’y eut pas de relations directes entre les saints bouddhistes et les prophètes du petit peuple sémitique, mais le « véhicule » que les régénérateurs hindous avaient pris pour symbole porta rapidement les idées du Buddha en dehors de l’Inde, et les populations des rivages méditerranéens en entendirent certainement l’écho. Et lorsque la ville de Tyr eut été prise par Alexandre et que l’influence hellénique eut acquis la prééminence dans toute l’Asie antérieure, le monde juif, déjà pénétré des conceptions religieuses de l’Orient et de l’Égypte, s’ouvrit également à la philosophie des sages occidentaux : il se trouva préparé à l’œuvre de transformation de laquelle devait sortir le christianisme.

Ainsi l’évolution morale des Juifs avait fini par représenter l’ensemble du mouvement qui s’était accompli déjà dans toutes les contrées environnantes ; toutefois, les conséquences de cet état de choses auraient gardé leur caractère local et n’auraient pas amené de révolution dans les destinées communes de l’humanité si le petit