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l’homme et la terre. — palestine

seul Dieu : le monothéisme était né, et, naturellement, ceux qui l’avaient fait naître ne pouvaient ne pas s’imaginer que de tout temps et partout avait prévalu la même idée relativement au monde surnaturel.

Yaveh, le dieu géographique des douze tribus, se doubla de tous les autres dieux locaux et se confondit avec El, l’ancien Elohim, le dieu, ou plutôt l’ensemble des divinités que les pasteurs hébreux avaient adorées pendant leur existence de nomades : le nom de Yahveh-Sabaoth (Esebaoth), qu’affectionnent les prophètes, implique cette association collective de toutes les forces divines en un seul Etre souverain. Les anciennes légendes et les documents sacrés qui se fixent à cette époque de l’histoire juive sont forcément différents de ceux des périodes antérieures : ils représentent une nouvelle forme de la pensée. C’est ainsi que même les écrivains impartiaux transportent dans la compréhension du passé toutes leurs impressions modernes.

Mais ce monothéisme, dont la conception s’était nettement développée chez les prophètes juifs, était encore très loin d’avoir formé une société à son image, organisée suivant les vœux des novateurs. La justice et la morale n’ayant pas encore pris leur point d’appui là où seulement elles peuvent le trouver d’une manière définitive, c’est-à-dire dans le for intérieur de l’individu, les prophètes devaient travailler de toutes leurs forces à la création d’un État théocratique imposant à tous la justice et la vérité, car le monothéisme professé par eux et la certitude de connaître le seul Dieu, le Maître absolu, les rendaient d’une parfaite intolérance religieuse, intolérance qu’ils furent les premiers à apporter au monde (Renan, von Ihering). Les 613 lois du Talmud se superposèrent aux autres obligations qui pesaient déjà sur l’homme du peuple. « Les Juifs furent les inventeurs d’une soumission avilissante à ces deux monstres fictifs, la Patrie, la Loi ; autant d’hommes, autant d’esclaves »[1].

Trop d’ennemis étrangers se pressaient toutefois autour d’eux pour qu’ils pussent conquérir le vicariat divin auquel ils visaient : les miracles qu’ils imploraient se firent attendre inutilement de siècle en siècle. Il ne restait donc aux affamés de justice et de vertu qu’à se suicider de désespoir ou à se résigner. Ne pouvant écarter les iniquités de ce monde, ceux qui d’un cœur très sincère désiraient la justice se

  1. Gobineau, Essais sur les Races.